Chico Buarque – Le frère allemand

Goran et Ingannmic nous ayant donné rendez-vous en février pour un mois thématique autour de l’Amérique latine, je me devais de répondre présent à cette charmante invitation. C’est donc vers le Brésil que nous nous dirigeons aujourd’hui, même si le titre Le frère allemand, laisse présager que l’auteur, Chico Buarque, ne nous cantonera pas à ce seul pays…

Chanteur, compositeur, auteur, dramaturge, écrivain… Voici ce que le curriculum vitae de Chico Buarque nous révèle. Artiste très connu dans son pays pour ses chansons, il s’est essayé avec succès à l’écriture dans les années 90. Le frère allemand est son quatrième roman ; comme les précédents, il a été traduit en français et publié chez Gallimard.

Pour écrire ce livre, Chico Buarque s’est inspiré de l’histoire de sa propre famille. De son vrai nom Francisco Buarque de Hollanda, il s’appelle Francisco de Hollander dans le livre. Son père, Sergio de Hollander, est un historien et critique très prestigieux de son pays. Sa mère, d’origine italienne, semble passer son temps à ranger les nombreux livres du patriarche, qui occupent tous les murs de leur maison. Quant au frère aîné, son véritable passe-temps semble la gente féminine, ce qui vaut au livre quelques pages très humoristiques, puisque le cadet s’évertue à « recycler » les conquêtes du grand frère :

Aux alentours d’une école de publicité douteuse dans les salles de laquelle on ne l’avait jamais vu, mon frère s’était acquis une réputation de dépuceleur. Effectivement, il était impossible de dénombrer les étudiantes qui entraient pucelles dans sa chambre et qui en ressortaient en rajustant leurs dessous sur leurs fringues du dessus, et que j’enregistrais dans un petit carnet mental. Certaines fins d’après-midi, je me lançais à leur recherche dans les bars de Bela Vista, je leur demandais la permission de m’asseoir à leur table et je me présentais en qualité de frère de mon frère. Cela suffisait pour qu’elles abandonnent leur sandwich ou leurs polycopiés et m’écoutent et dès la première conversation je gagnais leur confiance. Je prêtais une oreille attentive à leurs confidences et j’acceptais même d’empocher des lettres d’amour qui évidemment ne parvenaient jamais à destination. J’entendais aussi des plaintes amères car mon frère était un salaud qui promettait l’amour et toutes sortes de choses et qui disparaissait sans fournir d’explications. (…) A la tombée du soir, nous échangions nos numéros de téléphone et lors de la rencontre mon frère serait déjà un sujet dépassé, car désormais il ne s’agirait plus que de sonnets de Shakespeare en veux-tu en voilà.

Un jour, Francisco découvre une lettre écrite en allemand, glissée dans un livre, à destination de son père ; écrite par une certaine Anne Ernst, elle révèle au jeune homme que son père, qui avait vécu avant la Seconde Guerre Mondiale à Berlin, avait eu en fait un fils ignoré jusque là. Francisco imagine son frère, son histoire, ce qu’il a vécu. La quête de ce frère allemand constituera l’axe majeur du récit, mais Chico Buarque esquisse également l’arrière-plan dans lequel cette histoire ce déroule : la guerre du côté allemand, et la dictature militaire au Brésil qui fera disparaître l’un des amis de Francisco puis son frère.

Sur la quatrième de couverture, il est écrit que « l’investigation (…) dépasse la quête personnelle pour explorer l’histoire brésilienne et européenne des années 30 jusqu’aux années 60, ainsi qu’un héritage familiale silencieux, douloureux ». C’est le premier bémol que je mettrais au livre ; certes, ce contexte est évoqué, mais il n’est en rien creusé. La seconde réserve que j’émettrais est que le récit oscille entre la réalité et l’imagination. Cela est quelque peu déroutant. Enfin, alors que la fin du livre n’est pas particulièrement joyeuse, je n’ai pas ressenti l’émotion autour des souffrances qui vont toucher la famille.

En lisant certains passages de Le frère allemand, je me suis dit que j’avais en ma possession un très bon livre ; curieusement, je le referme avec un sentiment plus que mitigé. Je vous conseille au final :

d’acheter le livre chez votre libraire

X d’emprunter ce livre dans votre bibliothèque

X ou de lire autre chose

Le frère allemand, de Chico Buarque, traduit du portugais (Brésil) par Geneviève Leibrich. Gallimard, collection « Du monde entier », 2016. 270 pages.

16 réflexions sur “Chico Buarque – Le frère allemand

  1. Goran 6 février 2021 / 09:31

    Que dire d’autre si ce n’est que… le passe temps du grand frère est très plaisant 🙂

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  2. Ingannmic 6 février 2021 / 10:46

    Quand j’ai lu Chico Buarque, je me suis dit « tiens comme le chanteur » (cela m’a ramenée bien loin..) et en fait c’est lui.. Je l’ignorais écrivain. C’est fou cette quasi constante, chez les écrivains sud-américain, de mêler réalité et imaginaire, ou surnaturel (et j’aime bien, en général).. Ce titre m’a l’air très intéressant malgré tes bémols, le sujet m’attire beaucoup, je note donc. Et merci pour cette première participation !

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 21 février 2021 / 09:49

      Encore merci pour l’initiative ! De mon côté, j’ai beaucoup plus de mal à lire réalité et imaginaire. Je n’ai toujours pas trouvé de coup de coeur d’Amérique latine, mais j’en ai lu trop peu à ce jour.

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  3. Marilyne 6 février 2021 / 14:23

    Je peux écrire en commentaire ta dernière phrase, simplement en modifiant : en lisant les premiers paragraphes de ta chronique… je termine la lecture du billet avec…

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    • Patrice 21 février 2021 / 09:52

      Excuse-moi, c’est un exercice de réflexion un peu trop poussé pour moi ce matin. Que voulais-tu dire exactement ?

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  4. Libriosaure 6 février 2021 / 17:23

    C’est vrai que j’ai beaucoup de mal avec le mélange réalité et imaginaire dans certains univers. Je trouve que ça demande un lâcher prise que je n’ai pas.

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    • Patrice 21 février 2021 / 09:54

      Je suis sur la même ligne que toi !

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  5. luocine 6 février 2021 / 19:50

    C’est certainement ce qui me retient à lire des écrivains d’Amérique latine, c’est ce mélange de merveilleux et de réalisme parfois très cru. Je n’arrive pas à me plaire dans ce genre de roans.

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    • Patrice 21 février 2021 / 09:54

      J’ai le même ressenti que toi et jusqu’à présent, j’ai du mal à m’immerger dans cette littérature.

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    • Patrice 21 février 2021 / 09:57

      Je suis un peu trop « terre à terre », il faut que j’apprenne à lâcher prise pour apprécier pleinement ces histoires !

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  6. luocine 17 février 2021 / 13:08

    je précise alors ce que je veux dire, je crois que le merveilleux, je veux dire le passage entre la réalité et l’imaginaire, est très codé selon les pays.
    Bien sûr que toute œuvre de fiction plonge dans l’imaginaire mais ce dont je voulais parler c’est le fantastique. Je suis à l’aise et j’apprécie le fantastique français , par exemple je trouve que le « horla » est une œuvre remarquable. Je peux être bien dans des fantastiques européens, Déjà le fantastique américain me gêne souvent par son côté religieux et je me sens le plus souvent complètement rejetée par le fantastique sud-américain. Je perds mes repères. J’espère avoir éclairé ce que je voulais dire.

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