
C’est aujourd’hui ma troisième et dernière participation aux Lectures communes autour de l’Holocauste, organisées avec Passage à l’Est! Après avoir lu Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens, qui retrace les souvenirs d’une rescapée de l’holocauste mais surtout l’absence du père, puis le journal d’une jeune fille, Eva Heyman, J’ai vécu si peu, relatant avec tant d’émotions les derniers mois avant sa déportation, je voudrais vous parler aujourd’hui de Berg et Beck, de Robert Bober. Berg et Beck étaient deux élèves amis d’une école parisienne. Soudain, le jeudi 16 février 1942, survient la Rafle du Vélodrome d’Hiver.
Robert Bober est un réalisateur reconnu de films documentaires. Né à Berlin en 1931 de parents juifs polonais, sa famille fuit le nazisme et trouve refuge en France en 1933. Il échappe à la Rafle du Vélodrome d’Hiver en 1942. Vous vous en doutez, Berg et Beck contient donc des références à l’histoire personnelle de l’auteur, et traite des séquelles psychologiques liées à la guerre. Il constitue le deuxième roman écrit par l’auteur ; le premier, Quoi de neuf sur la guerre ?, avait reçu le prix du Livre Inter en 1994. A noter également que son dernier opus, Par instants, la vie n’est pas sûre, a fait l’objet de critiques élogieuses (et unanimes !) durant l’émission Le masque et la plume.
Le roman débute à l’été 1942. Berg et Beck sont tous les deux fils de commerçants juifs. Ils ont presque onze ans et les deux amis terminent leur année scolaire ; l’instituteur remet alors à Beck, le premier de la classe, Les aventures de Tom Sawyer, qu’il devra ensuite passer à Berg. Mais ce dernier ne reverra jamais le livre. Le jeudi 16 juillet 1942, la Rafle désormais bien connue qui endeuilla notre Histoire nationale, emporte avec elle Beck, alors que Berg était caché.
En 1951, ce dernier a 20 ans, il est devenu éducateur dans une colonie de vacances puis dans un institut qui s’occupe d’enfants de déportés, tous orphelins. C’est en rangeant les livres de la bibliothèque qu’il tombe sur le livre de Mark Twain que leur avait offert le maître. Il décide dès lors d’écrire à Beck ; des lettres dans lesquelles il évoque les films, les livres, les chansons, les courses cyclistes que son camarade n’a pas pu connaître :
Je crois que c’est ça : ces lettres sont faites pour être écrites. Seulement pour être écrites. Et pour garder intacts nos onze ans puisque c’est l’âge que tu as gardé, toi. Et qu’il n’y a peut-être que cela qui compte. Et aussi pour me persuader que d’une certaine manière tu es encore présent. C’est pourquoi je crois que mes lettres ne peuvent être que ce qu’elles sont.
Il évoque également les moniteurs et les enfants qu’il côtoie, qui ont tous des blessures et des raisons d’être là. J’ai trouvé ces passages comme étant les plus forts du livre. Il y a d’abord Marcel qui a survécu à Auschwitz et qui martyrisait ses camarades, reliquat de la lutte pour la survie à laquelle il avait survécu ; il y a surtout André, pris en charge par son oncle qui le ramènera à l’institution après que le jeune garçon eut « chié dans la voiture » :
Ce qu’il espérait, ce n’était pas de trouver un bienfaiteur. Des bienfaiteurs, malgré ses dix ans, il en avait croisé quelques-uns. Il arrivait dans une famille et il voulait savoir ce que c’était. Il ne s’appelait pas Kliger comme son oncle, mais M. Kliger, c’était le frère de sa mère. Alors cet oncle devait l’aimer. Mais jusqu’où ? Jusqu’où pouvait aller cet amour ? Qu’est-ce que c’est exactement l’amour d’une famille ? Comment sait-on que l’on est vraiment aimé ? (…) A la fin de cette soirée, l’acte d’André, imprévisible, presque irréel, était devenu l’acte naturel d’un enfant qui avait voulu savoir si sa famille se reconstituait, et cet acte avait été déterminant. C’était celui d’un garçon de dix ans qui aurait aimé pouvoir dire, comme les enfants qui se vantent : « Eh bien, moi, mon oncle, j’ai chié dans sa voiture et il n’a rien dit ».
Et que dire de l’histoire de ces deux frères, dont l’aîné a envoyé il y a quelques années une feuille blanche en guise de lettre à son cadet. On découvre que le plus jeune a gardé précieusement cette « non-lettre » tout simplement parce que c’est la seule trace qu’il a de lui. Souvent, ce ne sont pas les mots qui permettent d’aider ces enfants, ce sont des activités comme le vélo, le chant, des sketchs qui aident à faire passer des messages.
Malgré des longueurs, des passages moins intéressants, c’est dans ces anecdotes que ce livre révèle sa plus grande richesse et dans un message universel que Berg résume en écrivant à Beck :
« Tu sais, Joseph, il y a des enfants ici qui ont un sentiment d’abandon. Je veux dire qui ont le sentiment d’avoir été abandonnés par leurs parents. Je sais, ça paraît absurde et il faudra un jour chercher à comprendre et à l’expliquer. Tout en sachant que l’absence des parents n’a pas sur tous le même effet. Moi, je ne crois pas que j’en aurai la force ou la capacité. Mais j’ai appris au moins une chose, et de cela j’en suis absolument persuadé, c’est que lorsqu’on aime quelqu’un, et quelles que soient les circonstances, il faut lui dire qu’on l’aime. »
Au final,
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Berg et Beck, de Robert Bober. Folio, 2002. 255 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre des Lectures communes autour de l’Holocauste.
encore (mais je ne veux pas dire ce mot qu’il y en a trop) un témoignage sur l’horreur. J’espère que tous ces témoignages pourront faire du bien à l’humanité.(mais parfois j’en doute!)
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Oui, je suis d’accord avec toi, il reste essentiel de les lire, il faudrait simplement que tout le monde les lise…
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Ça me semble être un texte très émouvant… Merci pour toutes ces belles critiques…
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Merci Goran, oui, il y a des passages très émouvants – et je suis heureux que nous continuions l’exploration de ce thème l’année prochaine.
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en te lisant je pense au film « au revoir les enfants » je n’ajouterai pas ce livre à ma liste il y est déjà il est même sur mon étagère
cette lecture commune est une jolie aventure à laquelle j’ai pris grand plaisir
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Je n’ai jamais vu ce film, ce qui est une vraie lacune, merci de le mentionner car il a bien sûr toute sa place dans la liste.
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Bon, je dois voir en bibli, alors? Mais ça me tente beaucoup.
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Oui, ou alors t’orienter vers son premier roman.
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cette « non-lettre », rien que ce passage de ta chronique brise le cœur…
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Exactement, et cela est dit avec une grande sobriété
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C’est un beau choix narratif, et des morceaux de vie poignants. Dommage pour les longueurs que tu cites; je crois que cela ne m’empêchera pas de le mettre sur ma prochaine liste de « courses » à la bibliothèque.
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Oui, et ces passages justifient à eux seuls la lecture du livre.
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