Pierre de Villiers – L’équilibre est un courage

Même si les élections présidentielles de 2022 semblent bien loin, et que les crises sanitaire et économique qui balaient en ce moment notre pays dominent à juste titre le débat public, certains sondages ont récemment été publiés, qui testent la base électorale de certains candidats potentiels. Parmi eux, le général d’armée Pierre de Villiers, révélé au grand public en 2017 après sa démission de son poste de chef d’Etat Major des Armées, pour cause de désaccord sur le budget avec le Président de la République. Après ses deux premiers Servir et Qu’est-ce qu’un chef ?, Pierre de Villiers vient d’écrire L’équilibre est un courage. Afin de connaître un peu plus les idées de ce candidat possible aux plus hautes fonctions, je décidai donc de lire ce livre.

Composé de cinq parties, le livre de Pierre de Villiers traite tout d’abord les scissions qui traversent notre pays mais aussi le monde moderne. Il consacre ensuite les trois dernières parties aux priorités à développer pour remettre notre pays sur les bons rails : la priorité à la jeunesse, le souci de l’unité nationale, remettre la personne au centre des préoccupations.

J’ai trouvé que la première partie du livre constitue un bon diagnostic de la situation actuelle de notre pays : les 3 France qu’il évoque sont la France oubliée (essentiellement rurale), la France exclue (celle des cités) et la France aveuglée (celles des cols blancs, à l’aise dans la mondialisation). Cela m’a d’ailleurs rappelé des constatations que j’avais lues dans le livre de Christophe Guilluy , La France périphérique. Il déplore la dégration des liens entre dirigeants et citoyens et pointe le danger de fragmentation de la société française.

La seconde traite des déséquilibres mondiaux à l’oeuvre et, là encore, on perçoit que l’expérience du général de Villiers est perceptible et lui permet d’avoir une vue globale de la situation mondiale, pointant une certaine « naïveté » de l’Europe :

Ces Etats forts ont tous une stratégie de long terme : cinquante pour la Chine avec les routes de la soie, trente ans pour la Turquie avec l’éradication des Kurdes et le retour de l’Empire ottoman, vingt ans pour la Russie avec le réveil de la Grande Russie orthodoxe, vingt ans pour l’Inde et sa masse démographique, dix ans pour les Etats-Unis avec « America First », l’éternité pour l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite, etc. Beaucoup de ces pays se réarment depuis une dizaine d’années, à hauteur d’une augmentation de 5 à 10% par an de leur budget de défense, quand nos démocraties européennes se désarment depuis trente ans, savourant les délices des dividendes de la paix.

Les trois parties qui suivent ébauchent des pistes pour répondre aux défis qui se posent au niveau français. Il consacre un chapitre entier à la jeunesse, se basant sur le constat d’échec aujourd’hui bien connu :

Une classe d’âge en France représente aujourd’hui en moyenne 800 000 jeunes, parmi lesquels 160 000 (20%) se déclarent en dehors de tout emploi et formation, lorsque, entre 20 et 24 ans, ils sont sondés par les enquêteurs de l’INSEE. Depuis vingt ans, ce nombre ne baisse pas et est nettement supérieur à la moyenne de l’OCDE (15%). Sur ces 160 000 jeunes, environ 100 000 restent en dehors de tout système de formation pendant des périodes d’un an au moins ; ils sont « décrochés ». Il ne participent pas à la journée « Défense et citoyenneté » (JDC) pour une grande partie d’entre eux. Dès leur sortie de formation initiale (collège, lycée, CFA), ils connaissent de grandes difficultés d’insertion et alternent des périodes de chômage et de travail précaire, souvent en intérim.

Pour ce faire, il cite l’exemple de l’intégration réussie qu’offre l’armée où l’importance de l’objectif partagé permet de fédérer des jeunes venant de milieux très différents. Il insiste sur l’aspect intergénérationnel, mise sur le sport, etc.

Dans la quatrième partie, c’est l’unité nationale qui est mentionnée. Il insiste à retrouver une « certaine idée de la France », souligne l’importance des corps intermédiaires, et souhaite « réencastrer » l’économie dans la vie sociale. J’ai trouvé pertinent la suggestion de rééquilibrer le régalien et le social au profit du premier, de même que faire régner la loi républicaine dans les quartiers, ou encore de repenser l’aménagement du territoire :

Nous ne devons plus penser l’aménagement du territoire principalement à partir d’une vingtaine de métropoles innovantes, désenclavées, concentrant les universités et les emplois diplômés. C’est une erreur de la part de hauts fonctionnaires et de responsables politiques fascinés par la mondialisation et l’air du temps, lequel prône le déracinement et ignore l’histoire, la culture et la géographie.

Néanmoins, j’ai trouvé que cette partie manquait de chiffres, qu’elle donnait beaucoup trop de places à des lieux communs et qu’il y manquait des regards sur l’étranger. Je me suis souvent demandé ce que l’on faisait concrètement.

Globalement, on sent bien quelle est la posture du Général : il souhaiter réconcilier les Français, accroître la considération mutuelle, il prône le sentiment national contre le culte de l’individu avec toujours un souci de redonner de la perspective à l’action politique. Il insiste sur l’authenticité et le courage nécessaire, deux qualités qu’on ne peut lui lui dénier.

J’ai le sentiment – et j’espère ne pas me tromper – que la majorité des Français attendent et espèrent cette paix, qui produira une autorité ferme et humaine.

Candidat ou pas ? S’il est difficile de répondre à cette question, je mets à son actif le fait d’avoir beaucoup lu (de nombreuses références jalonnent le livre, même si elles se limitent souvent à des ouvrages plutôt « de droite »), beaucoup consulté et discuté, en plus, bien sûr, d’avoir à son bilan une carrière dans l’armée. Ce que j’ai apprécié dans ce livre, c’est qu’il prend la société française dans son ensemble – dans un paysage politique fragmenté, où deux visions souvent s’opposent (France ouverte sur le monde, libérale vs. France des oubliés), cela est le bienvenu. La vision est là. Ce qui me gêne par contre, c’est encore le manque de propositions concrètes, un certain manque de technicité parfois. On est à mon sens encore loin d’un programme politique.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu ce genre d’ouvrage ; ce fut une lecture intéressante mais pas inoubliable.

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L’équilibre est un courage, du général d’armée Pierre de Villiers. Fayard, 2020. 320 pages

8 réflexions sur “Pierre de Villiers – L’équilibre est un courage

  1. Goran 21 février 2021 / 14:59

    Malheureusement selon moi le bateau ne coule pas, il est déjà au fond de l’eau, la coque rongée et irrécupérable…

    Aimé par 1 personne

      • Goran 28 février 2021 / 19:49

        Moi j’aime être pessimiste : la balle est creuvé 😀

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  2. Eve-Yeshé 21 février 2021 / 16:03

    je pense aussi que le bateau a bel et bien coulé mais je ne brille pas par mon optimisme…
    Cela dit, j’aimerais bien le lire quand même …
    sa démission en fanfare m’a bien plu 🙂

    Aimé par 2 personnes

    • Patrice 28 février 2021 / 19:49

      En fanfare militaire :-). C’est intéressant de lire des livres de ce genre à l’approche d’une échéance électorale.

      Aimé par 1 personne

  3. Clovis 22 février 2021 / 15:04

    La France aurait peut-être bien besoin d’un « nouveau », d’un « autre » de Gaulle…

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    • Patrice 28 février 2021 / 19:50

      François Hollande lui-même le disait. Il faut les circonstances et la personne. Pour l’instant, j’ai quand même du mal à discerner qui cela pourrait être.

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      • Kurt 4 mars 2021 / 22:48

        Eh oui ! les morts ne ressuscitent, à l’envi, qu’en poésie… « Des indispensables, il y en a plein les cimetières », disait « le Tigre »… Mais y en a quand même bien marre de voter « par défaut » !

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