
Je commençai ma participation au Mois de l’Europe de l’Est 2019 par un livre de Josef Škvorecký, Miracle en Bohême, qui m’avait beaucoup plu par sa façon de traiter de la période du printemps de Prague et plus généralement de la Tchécoslovaquie communiste d’après-guerre. L’escadron blindé correspond en fait au second tome de la trilogie et nous emmène dans les « années dures » du régime communiste, en 1953 (l’année de la mort de Staline et Gottwald), à la rencontre de soldats tchécoslovaques durant leur service militaire. Plus simple à lire que Miracle en Bohême, il en conserve tous les attraits : le témoignage historique, la capacité d’observation de Škvorecký, et surtout un sens de l’humour omniprésent.
Il suffit de peu de pages à Josef Škvorecký pour planter le décor. Un exercice militaire au 7ème escadron de chars est en cours ; il s’agit de donner l’assaut contre l’ennemi impérialiste. Mais rapidement, l’exercice tourne au fiasco : des subordonnées n’appliquent pas les ordres et c’est toute l’armée tchécoslovaque qui en prend, en l’espace de quelques pages, pour son grade !
Le livre consiste en de petites histoires qui se juxtaposent et ont donc comme point commun la vie de cette caserne et des soldats. On y assiste à l’endoctrinement des recrues. Tous les étapes de la vie sont revues avec la dialectique communiste, comme l’illustre le passage suivant :
_ Oui, camarades, conclut Prouza avec un accent tragique. Vous voyez, camarades, tout ce qu’il peut y avoir dans un poème. Jiri Wolker nous montre, par un exemple concret, qu’au temps de la République capitaliste, même l’avenir devenait une chose grise et sans joie, et que les jeunes ne se mariaient pas du tout pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui. L’un de vous peut-il nous expliquer quelle était, comment dirais-je, la force motrice qui poussait les gens à se marier, autrefois, sous le capitalisme ?
_ L’argent ! » glapit l’adjudant de carrière Semancak.
Dans le fond de la salle, un rire hostile se fit entendre, mais le sous-lieutenant approuva.
« Très bien, camarade adjudant. Et à présent ? »
Les motifs du mariage dans la Tchécoslovaquie d’aujourd’hui étaient un concept qui dépassait l’entendement du petit sous-officier de carrière. L’adjudant Soudek répondit à sa place.
« L’amour pardi!
_ Oui camarades. A l’époque du capitalisme, la femme était plutôt un fardeau pour l’homme. Tout ce qu’on lui demandait, c’était d’avoir une dot et ensuite de faire la bonne. Nous disons que la bourgeoisie réduisait la femme à l’état de marchandise, ce qui ne favorisait pas l’égalité. Nous disons, camarades, que les relations entre l’homme et la femme ont été radicalement transformées dans notre régime démocratique populaire. Chez une femme à présent, l’homme ne cherche plus du tout la même chose qu’autrefois. »
Mais qu’il est dur d’éduquer cette nouvelle génération de recrues ! Un instructeur vient faire passer des épreuves aux soldats souhaitant obtenir l’insigne Fučik. Or, entre les ouvrages non disponibles et la faible assiduité, l’examen devient une sorte de discussion, pour ne pas parler d’une farce.
Ecrit dans les années 50, mais publié au Canada (où s’était exilé l’auteur) en 1971, L’escadron blindé ne sera publié en Tchécoslovaquie qu’en 1990… et on a peu de difficultés à comprendre pourquoi. Il traite avec absurdité de la vie militaire sous le communisme. C’est drôle, grinçant, et c’est une nouvelle invitation à visiter l’oeuvre de ce grand auteur tchèque du XXème siècle, moins connu que Kundera ou Hrabal. Je me réjouis de découvrir désormais Les lâches, qui est en fait le premier tome de la trilogie, et qui valut à son auteur de perdre son travail, rattrapé par la censure.
Je vous conseille donc de le découvrir en :
X l’achetant chez votre bouquiniste
X ou en l’empruntant dans votre bibliothèque (et j’en profite ici pour remercier le centre tchèque de ce prêt !)
de lire autre chose
L’escadron blindé, de Josef Škvorecký, traduit du tchèque par François Kérel. Gallimard, 1969, 278 pages.
Výstižné.👍
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Díky Slávo :-). Probereme to v létě !
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Tu m’intéresses, bien sûr! La personne qui a fait la couverture a dû bien s’amuser. Tu as sûrement lu que François Kérel est mort récemment – 95 ans!
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N’est-ce pas ? Non, je n’avais pas lu que François Kérel était décédé, tu suis cette actualité de façon bien plus fine que moi. En tout, si tu n’as jamais lu Skvorecky, je t’encourage à le faire ; on pourrait même tenter le tome 1 en lecture commune cette année, si ça te dit !
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Eh bien pourquoi pas! Le défi sera de me le procurer – je ne le lirai probablement pas en français. On se donne rendez-vous au mois de mai?
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