Natalie Amiri – Afghanistan

Les actualités de ces derniers jours ont de nouveau mis l’Afghanistan sous le feu des projecteurs, les Talibans ayant décidé d’imposer aux femmes le port de la burqa. Dans son livre Afghanistan – Unbesiegter Verlierer, récemment publié en Allemagne, la journaliste germano-iranienne Natalie Amiri revient sur la situation du pays, le sort fait aux femmes, les Talibans, dans un essai marqué par une grande clarté et une forte empathie envers celles et ceux dont elle a recueilli le témoignage.

Natalie Amiri est une journaliste connue en Allemagne dont le précédent livre, consacré à l’Iran, avait été l’objet de nombreuses distinctions. Elle prévoyait tout d’abord d’arriver à Kaboul le 11 septembre 2021 et d’y voyager en temps que touriste et sans caméra. Hélas, la prise du pouvoir très rapide des Talibans, ayant débouché sur la chute de Kaboul le 15.08.2021, en a décidé autrement. Elle partit donc 100 jours après la reprise en main par les Talibans dans un contexte pour le moins modifié. Natalie Amiri alterne entre analyse et recueil de témoignages d’Afghans, qu’ils soient encore dans le pays ou exilés.

L’une des premières choses qui interpelle le non-spécialiste de l’Afghanistan que je suis est le caractère composite de ce pays : une douzaine d’ethnies, plus de 30 langues (dont deux officielles), pas d’identité culturelle partagée hormis l’islam, mais là aussi divisé entre sunnite et chiite. Les Pachtounes (dont font partie les Talibans) sont majoritaires à 40%. On parle davantage d’attachement à l’ethnie qu’au pays, et ce d’autant plus à partir de 1979, date de l’invasion soviétique. Dans cette Afghanistan « lâché » par l’Occident, on est forcément interloqué par l’état de délabrement du pays : selon l’ONU, début 2022, 97% des 38 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté, les salaires ne sont plus payés et toutes les aides extérieures ont été stoppées depuis la prise du pouvoir par les Talibans.

Bien évidemment, deux questions s’imposent rapidement : comment en est-on arrivé là et pourquoi les Talibans sont-ils revenus si rapidement au pouvoir, laissant l’image de l’évacuation de l’aéroport comme symbole du fiasco de la politique américaine ? Revenons tout d’abord sur la guerre. Elle a mobilisé des moyens énormes et s’est avérée être une réussite, même si l’attention et les moyens se portèrent ensuite vers l’Irak. Cette situation a généré une véritable euphorie, une soif d’apprendre dans le pays qui est devenu celui des opportunités et dans lequel une classe moyenne de 200.000 personnes s’est créée (mais qui côtoyait une population majoritairement rurale et traditionnelle). Les moyens financiers dédiés au pays étaient immenses, supérieurs au plan Marshall, mais se heurtaient à plusieurs problèmes : le manque de contrôle, des institutions défaillantes, un système hyper-centralisé autour du président Karzai et également un manque d’envie de faire des réformes, sans oublier la corruption (40% de l’aide !). L’armée comptait réellement 50.000 hommes, mais officiellement 300.000 afin de capter les fonds prévus. Même observation pour les enseignants. Pour construire une route dans le sud, il fallait payer les Talibans pour que le projet voie le jour. Ces mêmes Talibans qui imposaient leur programme dans les écoles du sud. L’aide étrangère constituait 75% du budget afghan, aussi imagine-t-on aisément qu’un système de collecte d’impôt efficace n’était pas nécessaire. Les Américains n’avaient en fait aucune vision autour de l’aide financière apporté, aucun plan pour l’après-Talibans :

En dehors de celui, de donner de l’argent. Les USA seuls payèrent 143 milliards de dollards, pour reconstruire le pays. En complément, le ministère de la défense américain consacra 837 milliards de dollars à la guerre en Afghanistan, qui coûta la vie à 2443 soldats américains et 1144 soldats des forces alliées. Du côté afghanistan on estime à au moins 60.000 les soldats et forces de sécurité tués.

Dans ce contexte, la menace talibane, qui n’avait jamais cessé d’exister, a eu la partie facile quand les troupes américaines se sont retirées. Comme l’explique Natalie Amiri, le « château de cartes » s’est écroulé.

Qu’attendre des Talibans ? La mesure prise ces derniers jours sur la burqa en dit long sur la continuité entre les Talibans qui exercèrent le pouvoir entre 1996 et 2001, et ceux qui sont aujourd’hui aux commandes. Le livre non plus n’est pas ambigu : dans le discours, les Talibans se veulent plus modérés, mais en fait se cache derrière le souhait d’être reconnu internationalement et de recevoir des fonds, rien d’autre. Dans le gouvernement Taliban, 14 membres de cabinets figurent sur les listes « terroristes » de l’ONU, et ce sont les durs qui sont au pouvoir. Leur soi-disant amnistie ne s’applique pas, ils utilisent les réseaux sociaux pour identifier ceux qui aidèrent les USA ou recherchent spécifiquement les personnes dont les noms figurent sur la liste d’évacuation mais n’ayant pu partir…

A propos de l’évacuation, Natalie Amiri consacre de nombreuses pages aux femmes qu’elle voulait aider à exfiltrer de Kaboul pour rejoindre l’Occident, retranscrivant les échanges qu’elle eut avec les autorités allemandes sur place qui ne ressortent pas indemnes. Elle s’est beaucoup engagée auprès des femmes afghanes, et nous livre des portraits très émouvants, comme celle de cette policière recluse chez elle qui a dû brûler son uniforme et se cacher pour que les Talibans ne la reconnaissent pas ; ou encore de Sahar, qui devait ouvrir son restaurant à Kaboul le 15.08, et qui a dû fuir en Italie. 50% des femmes universitaires ont quitté ce pays dont les jeunes filles sont désormais obligées d’arrêter l’école à 11 ans.

Ce livre est un magnifique témoignage sur ce pays, ses habitants, un appel à ne pas les oublier. C’est un livre qui m’a été offert et que je n’aurais jamais découvert autrement ; un grand merci pour ce très beau cadeau.

Je ne peux vous conseiller autre chose que :

X d’acheter ce livre si vous maîtrisez la langue allemande.

de l’emprunter dans votre bibliothèque

de lire autre chose

Afghanistan – unbesiegter Verlierer, de Natalie Amiri. Aufbau Verlag, 2022, 255 pages.

13 réflexions sur “Natalie Amiri – Afghanistan

    • Patrice 12 juin 2022 / 20:57

      Merci beaucoup, je suis heureux que tu aies pu ainsi apprendre des choses en lisant ce billet

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  1. luocine 31 mai 2022 / 16:49

    Quelle tragédie ! On n’imagine pas le sort des femmes dans ce pays et dire qu’en France certains ne veulent pas voir l’intolérance religieuse qui s’exprime dans les vêtements féminins.

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 12 juin 2022 / 20:57

      Que dire de plus ? Je suis tout à fait en accord avec ton propos.

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  2. Livr'escapades 31 mai 2022 / 17:19

    Eva m’a parlé de ce livre quand tu en as commencé la lecture, je ne passerai pas à côté ! J’ai bcp lu sur l’Afghanistan à l’époque de la première prise de pouvoir des Talibans, des essais mais aussi des romans et me souviendrai toujours du choc que m’avait causé à l’époque l’annonce de la mort de Massoud. Ce pays a vécu tellement de tragédies, c’est effroyable. Et d’une très grande tristesse.

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    • Patrice 12 juin 2022 / 21:07

      Tout à fait. Je suis bien moins informé que toi sur le sujet, mais lire ce genre de livre permet de comprendre beaucoup de choses. Je serais très heureux de lire ton avis !

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    • Patrice 12 juin 2022 / 21:07

      Merci à toi. C’est une lecture que je ne suis pas près d’oublier.

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    • Patrice 12 juin 2022 / 21:08

      C’est juste :-), mais j’espère qu’il existe des livres comparables en français !

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    • Patrice 12 juin 2022 / 21:11

      Ce n’est pas le thème le plus réjouissant, j’en conviens…

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  3. La Barmaid aux Lettres 13 juin 2022 / 08:19

    Je suis très frustrée qu’il ne soit publié qu’en Allemand.
    Pas d’anglais, c’est certain ? Ou (plus improbable encore) d’espagnol ?

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