
C’est la première fois qu’il m’est donné de lire et de chroniquer un livre de Günter Grass, auteur majeur (et controversé) de la littérature allemande du XXème siècle. D’une Allemagne à l’autre n’est sûrement pas le titre le plus emblématique de l’écrivain, car c’est un journal qu’il a tenu durant l’année 90, une année charnière de l’Histoire allemande, mais il est intéressant à de nombreux titres…
Avant d’aborder le journal, je souhaitais revenir en quelques lignes sur Günter Grass. Né à Gdansk en 1927, mort à Lübeck en 2015, il a connu le succès avec son premier roman, Le Tambour, bâti autour des mémoires fictives d’Oscar Matzerath, et qui nous emmène dans l’Allemagne du XXème siècle. Prix Nobel de littérature en 1999, Günter Grass était adhérent du parti social-démocrate allemand (notamment de Willy Brandt), et voyait la réunification allemande de façon assez négative. En 1995, dans son roman Toute une histoire, il a écrit que l’Allemagne de l’Ouest a annexé l’Allemagne de l’Est, ce qui a provoqué un tollé dans son pays (sans parler de la révélation tardive de son appartenance aux Waffen SS dans Pelures d’oignon).
D’une Allemagne à l’autre débute le 1er janvier 1990, quelques semaines après un événement majeur : la chute du mur de Berlin. Günter Grass est dans sa maison de campagne du Portugal, s’adonnant au dessin, à la cuisine, aux plantations. La rédaction de discours en vue de prochains voyages, la réflexion sur un nouveau livre (qui deviendra L’appel du crapaud) complètent son emploi du temps. Devant lui se profile une année 1990 marquée par de nombreuses élections en Allemagne et, personne ne le sait encore, la guerre du Golfe.
J’étais curieux de lire ce Journal principalement pour revivre les étapes clés qui menèrent à la réunification. Même s’il me fut parfois malaisé de saisir tous les détails, notamment ceux liés aux nombreuses élections qui jalonnèrent l’année, j’ai trouvé très intéressant le fait de voir que la réunification en tant que telle n’était finalement pas le souhait de toute la population. Günter Grass se montre très critique vis-à-vis de Kohl, souhaitant préserver l’héritage de la RDA et lui préférant un statut de confédération des Länder allemands.
La sensation croissante de resserrement. C’est un comme sous contrainte que l’unité allemande est invoquée à grands cris, il ne manque plus que de passer brusquement à l’acte. Il devient peu à peu dangereux d’élever la voix contre cette folie d’un nouveau genre. Si je persiste néanmoins à dire non, ce n’est pas par défi, c’est plutôt – outre tous les arguments et avec eux – par un pressentiment de plus en plus fort d’un échec. (…) En dépit de conditions apparemment favorables, l’espoir initial mis dans le miraculeux deutschemark risque, au sein de la population de RDA, de tourner à la déception. Les chiffres du chômage augmentant par bonds, l’arrogance prétentieuse de ces messieurs de l’Ouest avec leur ton de commandement, la perspective probable d’être à nouveau les couillonnés, les éternels perdants, voire de surcroît les incapables, pourraient faire germer de la haine, une haine mêlée de haine de soi-même. Après l’effondrement de la dictature communiste et de son économie de pénurie, ce sont à présent le système capitaliste et son idéologie, la stricte économie de marché et le pouvoir des banques, qui vont faire leurs preuves.
Même si je comprends certaines critiques de Grass, je me dis finalement qu’il n’a peut-être pas saisi toute l’importance du symbole que représentait la réunification et sous-estimé le désir des citoyens est-allemands de vivre « normalement », « comme à l’Ouest ».
Finalement, le point qui m’a le plus séduit est l’invitation à lire davantage de littérature allemande. Günter Grass fait allusion au Groupe 47, un groupe de réflexion littéraire fondé après-guerre autour de Hans-Werner Richter et auquel il appartenait. On croise dans le livre des noms célèbres de cette littérature, comme Peter Schneider, Christoph Hein, Jurek Becker, Christa Wolf… Et surtout, on suit dans le journal l’écrivain Günter Grass dans la genèse de ses livres. Le lecteur suit avec intérêt le développement de l’intrigue de ce qui deviendra L’appel du crapaud ou encore Toute une histoire, où l’un des protagonistes principaux est inspiré d’un autre auteur majeur de la littérature germanique, Theodore Fontane (auquel j’avais consacré une chronique précédemment).
In fine, sans être un livre « incontournable », j’ai parcouru les quelques trois-cents pages avec beaucoup d’intérêt ; sa lecture a suscité en moi des soifs de découverte, et c’est déjà beaucoup !
Je vous conseille donc :
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Lisez autre chose
D’une Allemagne à l’autre – Journal de l’année 1990-, de Günter Grass, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary. Points, 2011, 280 pages
Je n’ai pas encore lu Grass non plus mais j’y viendrai. En attendant, j’irai jeter un œil à ce fameux groupe 47 qui m’intéresse moi aussi beaucoup, merci pour l’information !
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Avec plaisir :-). Si, un jour, tu veux faire une lecture commune pour découvrir Günter Grass, n’hésite pas à me faire signe !
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Je ne sais plus sur quel blog j’ai lu cette réflexion d’Orwell je cite de mémoire : l’ennui de tenir un journal au jour le jour, c’est de se rendre compte des années après à quel point on s’est trompé.
C’est vraiment ce que m’inspire ce billet sur Günter Grass auteur dont j’ai toujours eu du mal à comprendre le succès.
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Très drôle :-). Je ne saurais répondre à ta question, il me faudrait aller plus loin dans l’exploration de son oeuvre (ce qui ne devrait pas tarder d’ailleurs !)
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J’ai eu Le tambour sur mes étagères durant des décennies, pour finalement m’en débarrasser sans le lire..;
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Ca arrive. Le Tambour me fait un peu peur également, je me demande si je ne devrais pas commencer par « L’appel du crapaud » dont j’ai pu suivre la genèse dans ce livre.
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Grass fait partie des auteurs allemands que j’aimerai énormément découvrir avec Thomas Mann. Je ne commencerai peut-être pas ma découverte avec celui-ci de roman.
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Merci beaucoup pour ce commentaire ! Pour Thomas Mann, je conseille sans hésiter « Les Buddenbrook » et pour Günter Grass, je comprends tout à vis votre avis.
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jouer le rôle de passeur en littérature c’est déjà beaucoup
je n’ai pas accroché à ses romans mais ce livre là me tente plus malgré la polémique autour ton billet donne envie de passer au dessus de ça
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Complètement d’accord avec toi !
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Intéressant billet et commentaires montrant qu’il est difficile de ne pas être du côté des vainqueurs. Et pourtant la lutte territoriale est toujours là en Europe, l’extrême droite très forte à l’est et le différentiel avec l’ouest lourd de menaces. Un livre intéressant pour voir toutes les facettes de l’histoire de l’après deuxième guerre mondiale…
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Merci pour le commentaire ! Il est vrai que les différences sautent aux yeux au moment des élections, ou encore lorsque certains mouvement comme Pegida ont pu prospérer dans certaines régions de l’Est. Je serais curieux de lire un livre dressant un bilan de la réunification plus de 20 ans après les faits…
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Vu d’aujourd’hui la réunification allemande paraît évidente et inéluctable mais en effet à l’époque il y a beaucoup de gens qui ne voyaient pas les choses ainsi. Même parmi les dirigeants européens qui avaient peur du retour de la Grande Allemagne.
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Merci pour ton commentaire ; c’est très juste et je rappelle qu’en France, la réticence était réelle par rapport à cette perspective…
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Ce n’est clairement pas un auteur facile. Il manie les références historiques et politiques, culturelles, et celles-ci nous sont souvent devenues un peu étrangères. C’est son mérite de nous ramener à une époque où beaucoup de choses étaient incertaines, même si on reste un peu à distance de son propos.
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