
Pour inaugurer notre mois thématique Les feuilles allemandes, je vais vous parler un peu avant l’heure d’un petit livre intitulé Mise en garde que j’ai lu également dans le cadre de lectures communes organisées sur Instagram autour de l’écrivain Klaus Mann (#cemoiscionlitklausmann). Au départ, je ne voulais pas me lancer dans une lecture exigeante en terme de temps, ce qui n’est pas chose aisée quand on regarde l’ensemble de l’oeuvre de Klaus Mann. Je me suis donc tourné vers une petite publication dans laquelle les éditions Phébus ont regroupé une dizaine de textes extraits de Contre la barbarie. Des articles brillants et d’actualité.
Contre la barbarie est le recueil de 67 textes écrits par Klaus Mann dans les années 1925-1948. Il s’agit ici d’articles de presse, de lettres, de discours ayant pour sujet commun la mise en garde contre l’extrémisme, le national-socialisme, le nazisme… Notons que l’auteur est né en 1906, il a donc rédigé certains textes à l’âge de 20 ans. Pour Mise en garde, l’éditeur a choisi une dizaine de textes qui permettent au lecteur de se faire une image de cet écrivain allemand, fils de Thomas Mann, qui est avant tout connu pour son combat inlassable contre le nazisme.
Dans ce présent recueil, on découvre une lettre adressée à Stefan Zweig où Klaus Mann réfléchit sur le radicalisme et la jeunesse; une lettre qu’il a rédigée en 1930 tout juste après la victoire hallucinante du parti nazi. D’ailleurs, il existe un poche qui regroupe la correspondance entre ces deux géants de la littérature germanophone.
Les choses avancent lentement à Genève, abominablement lentement. Nous serions les premiers à saluer toute tentative plus radicale – radicale dans un sens positif. Mais comment trouver sympathique un radicalisme qui va jusqu’à contrecarrer le peu que l’ancienne génération accomplit ? Vous dites, Stefan Zweig : « Le rythme d’une nouvelle génération se révolte contre celui du passé. » Si seulement c’était ce qui se produit ! Mais il me semble au contraire que les plus jeunes trouvent que le rythme de leurs aînés conduirait encore trop lentement à ue catastrophe.
Dans le texte intitulé Culture et « bolchevisme culturel » (Paris, 1933), Klaus Mann décortique (non sans ironie) le regard insensé que portait l’Allemagne des années 30 sur toute la production intellectuelle.
Il serait malaisé de donner une définition précise du « bolchevisme culturel ». Il en va de ce concept comme de tout le pathos de la « nouvelle Allemagne » : il est plus commode de l’expliciter par la négative. (Le nouveau pathos allemand se montre beaucoup plus facilement contre que pour quelque chose (…))
Des bolcheviks culturels, des « novembristes », des littérateurs du bitume, voilà ce que sont ces écrivains qui n’ont cessé de déshonorer le peuple allemand (par exemple en lui procurant le prix Nobel et l’attention du monde entier).
Dans Appel aux amis, Klaus Mann évoque l’émigration qui peut, de très loin, donner l’allure trompeuse d’une bonne aventure, d’un voyage ou de vacances où les intellectuels et les artistes se regroupent tout simplement dans une capitale quelconque pour discuter. Il raconte l’amitié et la bonté, mais aussi la méfiance ou la sévérité burocratique.
Quand l’imagination manque de vigueur, la bienveillance envers autrui est toujours superficielle et éphémère.
Dans un discours prononcé à New York en 1937, Klaus Mann regarde vers le futur et se questionne sur le rôle que l’Allemagne joue et jouera dans le monde entier, faisant part de ses espoirs que la dérive de l’Allemagne servira de leçon.
Nous, les Européens allemands, les amis allemands de la paix et de la liberté, nous avons chèrement payé nos fautes. Notre grande et tragique erreur a été de n’avoir pas pris les nazis assez au sérieux, ou d’avoir cru que l’on pouvait discuter avec eux. Nous espérons seulement que « le monde », que les Etats démocratiques ne répéteront pas nos fautes.
Je pourrais continuer ainsi et vous recopier de nombreux passages. En effet, ces textes n’ont pas pris une seule ride, ils sonnent très juste presque plus de 80 ans plus tard. L’auteur excelle dans l’art de résumer ou analyser des sujets très complexes sur quelques pages avec en plus un langage très accessible et fluide. C’est un livre à lire, à offrir, à méditer, mais aussi une belle introduction à la pensée de Klaus Mann, avant de s’attaquer à ses autres titres, comme par exemple son autobiographie Le Tournant.
X achetez-le chez votre libraire
empruntez-le dans votre bibliothèque
lisez autre chose
Mise en garde, de Klaus Mann, traduit de l’allemand par Dominique Laure Miermont et Corinna Giepfer. Phébus, 2016, 64 pages.
Je ne connaissais pas le fils la célébrité du père m’a sans doute aveuglée. Les passages cités sont étonnants de clairvoyance.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, c’est impressionnant !
J’aimeJ’aime
Il y a aussi sa sœur Erika.
J’aimeJ’aime
Oui, Klaus et aussi sa soeur Erika sont des auteurs à redécouvrir dans la période actuelle où les extrêmes droites progressent en Europe…
J’aimeAimé par 1 personne
Exactement. Et ce petit livre est idéal.
J’aimeAimé par 1 personne
Tu m’as fait ‘peur’, j’ai pensé que j’avais raté le début du mois des Feuilles allemandes ! Klaus Mann est le fils de Thomas Mann (dont je n’ai lu que La montagne magique, à l’adolescence, je n’en ai qu’un vague souvenir, à relire donc) ? Je ne connaissais pas Klaus Mann mais je viens de réserver Contre la barbarie et Correspondance avec Stefan Zweig à la médiathèque (cependant je vois sur Wikipédia qu’il était pédophile et avait des relations avec des enfants dès l’âge de 10 ans…, ça me refroidit un peu… beaucoup même…).
J’aimeAimé par 1 personne
La correspondance avec Zweig doit être passionnante !
Je ne suis pas au courant et je n’en trouve pas plus sur internet – sauf cette phrase sur Wikipedia (FR). J’aurais préféré un peu plus d’informations qu’une accusation aussi brève…
J’aimeAimé par 1 personne
Tu as raison… Peut-être en consultant les autres langages ? En tout cas, si Wikipédia a laissé, c’est que c’est vrai… je te dirai pour la correspondance entre Mann et Zweig : d’après le résumé, Mann était plus inquiet et s’est expatrié alors que Zweig pensait que c’était moins alarmant (d’où son suicide ?), à lire donc.
J’aimeJ’aime
Merci pour ce billet. Klaus Mann m’attend depuis trop longtemps, chacun des titres m’intéresse. Le Tournant est sur mes étagères, j’attends trop le » bon moment « .
J’aimeAimé par 1 personne
Pour certains titres, il est difficile de trouver le bon moment (je pense surtout à Thomas Mann et La montagne magique 🙂)
J’aimeJ’aime
Aie, déjà novembre, je vais rater le rV si je ne fais pas attention (et je ne pense pas avoir d’auteur allemand sous la main)
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai publié avant l’heure, tu as encore beaucoup de temps 😉 As-tu un auteur ou titre en tête ?
J’aimeJ’aime
Rien ici, il va falloir fouiner en bibli… et que ça me plaise aussi, grrr. ^_^
J’aimeJ’aime
la famille Mann est à l’honneur en ce moment
j’ai lu Klaus Mann et Erika mais pas ce livre là mais je suis certaine qu’on y trouve les grands thèmes qui lui sont chers
je lis en ce moment le roman biographique de Colm Toibin : le magicien c’est intéressant mais aussi un rien décevant
J’aimeAimé par 1 personne
Je suis curieuse de lire ton avis sur Le magicien – je n’ai vu que des avis positifs.
Parfait pour Les feuilles allemandes et la catégorie spéciale 😉
J’aimeJ’aime
Contre la barbarie est à la bibli. Cette histoire de pédophilie vient du journal de Julien Green. (cf wiki)
J’aimeJ’aime