Jean-Louis Fournier – Où on va, papa ?

Prix Femina 2008, Où on va, papa ? est un roman de Jean-Louis Fournier, écrivain, humoriste, réalisateur, connu notamment pour avoir réalisé La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède, présentée par Pierre Desproges. Ce court roman est avant tout un témoignage dédié aux deux garçons de l’auteur, nés handicapés.

J’espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d’un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites… auront rendu le séjour supportable.

Comment parler du handicap ? A travers les lectures communes organisées avec Ingannmic, cette question a été posée nombreuses fois cette année. Elle trouve dans ce livre une réponse simple : avec humour. Le roman relate le vécu qu’a eu l’auteur avec ses deux enfants, Mathieu tout d’abord, puis Thomas né deux ans plus tard ; tous les deux avec des handicaps très lourds, aussi bien physiques que mentaux. Jean-Louis Fournier relate des petits instants de vie, des ressentis, le désarroi aussi qui fut le sien.

Il y a aussi ceux qui disent : « L’enfant handicapé est un cadeau du Ciel. » Et ils ne le disent pas pour rire. Ce sont rarement des gens qui ont des enfants handicapés.

Quand on reçoit ce cadeau, on a envie de dire au Ciel : « Oh ! fallait pas… »

Certains passages du livre m’ont quelque peu déstabilisé dans la mesure où Jean-Louis Fournier utilise la dérision, et l’humour prend parfois le qualificatif de noir. Néanmoins, derrière chaque trait humoristique, transparaît la sensibilité de l’auteur pour dire les choses :

Thomas ne va plus être jaloux de son frère, il va avoir lui aussi un corset. Un impressionnant corset orthopédique, avec du métal chromé et du cuir. Lui aussi est en train de s’effondrer, de devenir bossu comme son frère. (…) Le soir, on a besoin d’une clé à molette pour les déshabiller. Quand on leur retire leur cuirasse, on remarque, sur leur torse nu, des traces violettes que l’armature en métalla laissées, et on retrouve deux petits oiseaux déplumés qui tremblent. (…) Mathieu est de plus en plus voûté. Les kinés, le corset en métal, rien n’y fait. A quinze ans, il a la silhouette d’un vieux paysan qui a passé sa vie à la bécher la terre. Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut même plus voir le ciel. Un moment, j’ai imaginé fixer sur le bout de ses chaussures des petits miroirs, comme des rétroviseurs qui lui refléteraient le ciel… Sa scoliose a augmenté, elle va bientôt provoquer des ennuis respiratoires. Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée. Elle est tentée, il est totalement redressé. Trois jours plus tard, il meurt droit. Finalement, l’opération qui devait lui permettre de voir le ciel a réussi.

L’auteur montre également très bien l’absence de communication possible avec les enfants, l’impossibilité de la transmission de l’héritage familial, et la transformation du quotidien, comme les photos de famille ou les cadeaux de Noël :

On n’a jamais fait de crèche ni de sapin. Il n’y a pas eu de bougie, par peur des incendies. Ni de regard d’enfant émerveillé. Noël, c’était un jour comme les autres. Il n’était pas encore né, le divin enfant.

Je trouve que l’auteur a très bien réussi à rester sur une ligne de crête difficile à tenir : de l’humour voire de la dérision, mais pas au point d’être détaché ou d’adopter un ton moqueur, de la sensibilité, des sentiments mais de façon subtile, évitant tout pathos. C’est pour moi un indéniable point fort du livre, et je ne m’étonne pas qu’il ait eu autant de succès à sa sortie. En faisant des recherches sur ce titre, j’ai toutefois lu qu’une polémique s’est installée avec l’ex-épouse de l’auteur, la maman de Thomas et Mathieu, qui reprochait au livre de montrer les enfants seulement comme des « désastres, des boulets à traîner, inutiles et honteux, et avec qui on n’aurait pu établir aucune véritable relation ». « Je refuse l’idée désespérante que le passage de Matthieu et de Thomas sur cette terre n’était finalement destiné à rien. A rien d’autre qu’à accabler leur père et à servir de sujet à un livre, aussi excellent soit-il. », confie-t-elle dans un site Internet créé en réponse au livre.

En me promettant de lire de nouveau un livre de Jean-Louis Fournier, je vous conseille, si ce n’est déjà fait, de découvrir ce titre en :

X l’achetant chez votre libraire

X l’empruntant dans votre bibliothèque

lisant autre chose

Où on va, papa ?, de Jean-Louis Fournier. Livre de poche, 2010, 160 pages.

Lecture faite dans le cadre des lectures thématiques « Autour du handicap » que nous organisons avec Ingannmic.

8 réflexions sur “Jean-Louis Fournier – Où on va, papa ?

  1. Sandrine 13 décembre 2022 / 09:31

    Lu à sa sortie et effectivement, on en parlait beaucoup. J’ai été touchée par cette lecture car malgré l’humour, il y a la tendresse et l’impuissance.

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    • Patrice 21 décembre 2022 / 08:00

      Je te rejoins complétement dans ce commentaire, cela résume très bien le propos du livre, merci !

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  2. laboucheaoreille 13 décembre 2022 / 10:05

    Je l’avais lu peu après sa sortie et cet esprit de dérision et d’humour noir que tu soulignes m’avaient également dérangée. Évidemment ça n’empêche pas l’émotion à certains moments. Mais c’est quand même très grinçant.

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    • Patrice 21 décembre 2022 / 08:01

      Je peux comprendre en effet. Je trouve pour ma part que c’est finalement bien dosé et que l’émotion, la pudeur, sont toujours là.

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  3. luocine 13 décembre 2022 / 12:06

    j’aime cet auteur et sa façon de décrire ses peines et ses souffrances. J’avais salué ce livre à sa sortie.

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    • Patrice 21 décembre 2022 / 08:02

      Merci pour ton commentaire. Je relirai assurément Jean-Louis Fournier, il a vraiment une très belle plume.

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  4. keisha41 13 décembre 2022 / 17:48

    Le coeur se serre, le papa a bien parlé de sa vie avec ses deux fils.

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