
En Allemagne, Verena Kessler vient de publier chez Hanser Berlin son deuxième roman, intitulé Eva. A cette occasion, j’ai repéré sur les réseaux sociaux des exclamations enthousiastes telles que « Formidable ! Depuis que j’ai lu Die Gespenster von Demmin, je veux tout lire d’elle ! ». Je n’ai donc pas hésité une seconde en voyant ce premier roman enfin traduit en français chez Actes Sud sous le titre Les fantômes de Demmin.
Demmin est une ville paisible du nord-est allemand dont l’histoire est particulièrement marquée par la Seconde Guerre Mondiale. En effet, en 1945, après que la Wehrmacht eut sacrifié la ville en détruisant les ponts, les habitants ont vécu l’arrivée de l’Armée rouge de façon si brutale que des centaines de personnes ne voyaient qu’une seule issue : le suicide. Ainsi, les eaux et les terres de cette petite ville ont accueilli près de mille personnes, essentiellement des femmes et leurs enfants, noyés ou pendus.
Cet événement a été choisi par l’autrice Verena Kessler comme coulisses pour son premier roman. Retenez bien le mot coulisses car il ne s’agit pas du tout d’un roman historique et ceux qui s’y attendent seront forcément déçus. L’histoire est contemporaine, racontée par une adolescente qui préfère qu’on l’appelle Larry (car ses parents n’ont pas anticipé que Larissa rime avec…).
Le dimanche à Demmin, on se sent comme dans un bain rempli d’eau tiède. Je sais pas trop pourquoi mais le dimanche, j’éprouve souvent dès mon réveil ce sentiment de grisaille qui ne me quitte pas de la journée, qui devient de plus en plus sombre et finalement, complètement noir. J’aime peut-être moins les dimanches que les lundis.
Vivant dans une petite ville, avec sa mère à la recherche de l’amour et les cours de l’école, Larry trouve son quotidien peu intéréssant et s’attache donc à un seul but : devenir correspondante de guerre. Chaque tâche est de ce fait considérée comme une préparation sérieuse à son emploi futur (même les courses dans un supermarché bondé) et les entraînements dans le jardin selon les vidéos trouvées sur internet font maintenant partie de son quotidien.
A ces moments-là, elle est observée par sa voisine, Madame Dohlberg. Tandis que Larry attend son avenir avec impatience, sa voisine est effrayé en pensant au sien. Sentant ses forces la quitter, elle devra bientôt vider sa maison où elle a passé toute sa vie et entâmer un nouveau chapitre en déménageant dans une maison de retraite. En triant ses affaires, ses idées vagabondent vers le passé et vers ses proches disparus.
Dans son roman, Verena Kessler a créé un tableau très réussi en liant l’Histoire (l’année 1945) et le contemporain, la vieillesse et l’adolescence tout en gardant un style fluide et le ton juste. Certains se demanderont peut-être pourquoi elle n’a pas dévéloppé un peu plus l’histoire de Madame Dohlberg, sur laquelle j’aurais aimé, moi aussi, en apprendre plus. La plupart du temps, on reste dans la tête d’une adolescente en train de devenir une adulte dont le regard sur tout ce qui l’entoure est très bien capté.
Ma mère et Benno sont assis à table comme si on s’apprêtait à tourner une pub de Knorr pour la télé. Je me joins à eux. Si on était vraiment sur un plateau de tournage, quelqu’un crierait maintenant « Coupez ! » et demanderait qui a casté cette jeune fille d’une humeur massaccrante. Le plat est fumant. Je me penche au-dessus et j’identifie des pâtes mais pour le reste, difficile à dire.
« C’est quoi ? »
Ma mère prend mon assiette et y verse une grande louche avant de répondre. « Des pâtes au fromage. Avec des champignons et des courgettes. »
J’inspecte la masse gluante avec ma fourchette. « C’est toi qui a inventé ça ? »
Benno tend son assiette à ma mère comme un gentil garçon. « Ca a l’air super ! »
Quel lèche-bottes. Malheureusement, la flatterie ne semble pas trop déranger ma mère. Elle sourit et rougit même un peu.
Larry se promène là où ont marché les ados de son âge en 45, elle tombe dans la Peene où des centaines d’entre eux se sont volontairement noyés ; notés dans les registres comme inconnus, oubliés par l’histoire. La Larry d’aujourd’hui cherche l’aventure, pousse ses expérimentations jusqu’au bout, défie la vie. J’ai trouvé très intéréssant de la part de l’autrice de raconter une adolescence en la mettant dans la perspective des événements historiques. C’est un roman très réussi qui se lit d’une traite, avec un style et un langage très naturels ainsi que des personnages crédibles, sur la mémoire, l’adolescence et le deuil. Je vais garder un oeil sur les parutions de l’autrice, c’est sûr !
Je vous conseille donc :
X d’acheter ce livre chez votre libraire
X ou de l’emprunter dans votre bibliothèque
lire autre chose
Les fantômes de Demmin, de Verena Kessler, traduit de l’allemand par Denis Dumas. Actes Sud, 2023, 256 pages.
Très intéressant, je découvre cette autrice et je vais aussi garder un oeil dessus !
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Ça ne sera pas facile de le trouver à la bibliothèque (un premier roman allemand…) mais on ne sait jamais !
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j’aimerais savoir si vous avez des attaches particulières avec l’Allemagne vous nous proposez toujours des titres qui m’attirent
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Merci Luocine ! J’ai grandi à côté de la frontière allemande et j’aime beaucoup la littérature européenne 😉
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A priori, je ne serai pas allée vers ce livre toute seule mais votre billet est convaincant. Je garde le nom de l’auteur en tête.
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Il pourrait te plaire ! ça fait toujours plaisir de découvrir des jeunes auteurs contemporains.
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Comme je n’avais jamais entendu parler de ce titre ni de l’autrice, merci pour cette chronique de ce livre dont tu mets bien en évidence le thème et les qualités qu’on peut attendre de l’angle choisi. Par contre, Larissa rime avec quoi ?
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Je me suis posée la même question. Harissa ?
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Et non, ce n’est pas ça 😉
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Je pense que ce livre plaira à de nombreux lecteurs, c’est très rafraîchissant et les personnages bien dépeints.
Larissa – je ne dévoilerai pas 😉
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Ça donne très envie de découvrir cette autrice en effet, avec un roman au sujet original. Merci !
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L’écriture est très fluide, l’autrice passe de la tête d’une adolescente aux pensées d’une dame âgée de façon très naturelle. Une réussite.
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effectivement tentant, mais hélas ! ma BM ne la connaît pas du tout…
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Pour un premier roman, qui plus est allemand, ce n’est pas gagné ! Peut-être d’occasion ?
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Pâtes fromage champignons courgette : tiens, ça me donne une idée! (al dente les pâtes=)
Au fait, le livre reçu après le mois de l’Europe de l’est est une totale réussite, et je vais fouiner dans le catalogue d l’éditeur
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Al dente bien sûr, ça change tout ! 😉
Je suis très contente ! Je te conseille Hana, bien évidemment. Et il y a aussi un roman épistolaire que Patrice lira pour les LC.
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