
En 1842, Balzac regroupait dans Les Scènes de la vie de province, intégrées à La Comédie Humaine, trois oeuvres : La Rabouilleuse, Le curé de Tours et Pierrette. Leur point commun ? Les célibataires. « L’état de célibataire est un état contraire à la société », disait-il. Dès lors, on imagine aisément de quelle façon il traita le sujet…
Dans Le Curé de Tours, l’abbé Birotteau est un homme simple et naïf, peu exigeant mais ayant tout de même quelques rêves dans la vie : celui de devenir chanoine, mais aussi l’envie d’hériter de la bibliothèque du chanoine Chapeloup, son ami. Lorsque ce dernier décède, il est ainsi partagé entre une peine sincère et la félicité de s’installer chez son ancien ami, qui résidait chez Mademoiselle Gamard, une vieille fille. Or, celui « à qui la majeure partie des pratiques sociales étaient complètement étrangère », devient l’objet de la haine de son hôte. Une machination s’installe, derrière laquelle s’active auprès de la célibataire désoeuvrée l’abbé Troubert, « Sixte Quint réduit aux proportions d’un évêché », et qui conduit à la perte du pauvre abbé Birotteau.
Le Curé de Tours est un court roman dans lequel Balzac fait ressortir magnifiquement la mesquinerie humaine, la cupidité, la manipulation, les luttes de pouvoir, la jalousie… Une vision acerbe du célibat et de la petite société locale, et au final, une excellente lecture.
Les vieilles filles n’ayant pas fait plier leur caractère et leur vie à une autre vie ni à d’autres caractères, comme l’exige la destinée de la femme, ont, pour la plupart, la manie de tout faire plier autour d’elles. Chez mademoiselle Gamard, ce sentiment dégénérait en despotisme ; mais ce despotisme ne pouvait se prendre qu’à de petites choses.
Les célibataires dans Pierrette sont les Rogron, un frère et une soeur ayant travaillé comme merciers à Paris. Leurs économies leur ont permis de revenir s’établir à Provins et d’y construire une maison bourgeoise. Leur ambition secrète est d’y jouer un rôle dans la société locale mais, en raison de leur bêtise crasse, ils y échouent. Aussi, quand une enfant liée à leur famille, Pierrette, débarque chez eux, elle devient l’instrument de reconquête des autres familles. Mais rapidement, elle se transforme en servante et souffre-douleur de la maison.
Ici encore, Balzac nous livre un portrait univoque des célibataires :
Quoique Sylvie Rogron n’eût alors que quarante ans, sa laideur, ses travaux constants et un certain air rechigné que lui donnait la disposition de ses traits, autant que les soucis, la faisaient ressembler à une femme de cinquante ans. A trente-huit ans, Jérôme-Denis Rogron offrait la physionomie la plus niaise que jamais un comptoir ait présentée à ses chalands. Son front écrasé, déprimé par la fatigue, était marqué de trois sillons arides. Ses petits cheveux gris, coupés ras, exprimaient l’indéfinissable stupidité des animaux à sang froid. Le regard de ses yeux bleuâtres ne jetait ni flamme ni pensée. (…)
Habitués à régenter, à faire des observations, à commander, à reprendre vertement leurs commis, Rogron et sa soeur périssaient faute de victimes. Les petits esprits ont besoin de despotisme pour le jeu de leurs nerfs, comme les grandes âmes ont soif d’égalité pour l’action du coeur.
La bêtise, le désoeuvrement, la cupidité sont à l’oeuvre. Si l’abbé Birotteau, victime, n’était pas étranger à sa propre déchéance, le cas de Pierrette est bien plus sombre. Elle est une victime, et à l’instar du colonel Chabert, on perçoit que Balzac a de l’amitié pour celle dont on imagine qu’elle ploiera sous le joug de ses bourreaux. Plus encore que dans Le Curé de Tours, les intrigues politiques, les arrangements entre notables jouent un rôle clé dans cette histoire et Pierrette en sera la première victime.
Un plaisir confirmé de relire Balzac !
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Le curé de Tours, suivi de Pierrette, de Honoré de Balzac. Folio, 1991, 375 pages.
Livre lu dans le cadre de la Quinzaine balzacienne organisée avec Bar aux lettres.
Balzac, c’est bien dur parfois! Quels personnages, quelles descriptions. En lire ou relire un de temps en temps est une bonne habitude.
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Oui, très juste et je l’avais vraiment oublié ! C’est une habitude que je vais reprendre et étendre d’ailleurs à d’autres auteurs « classiques »
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Noté !🙏
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Bon choix 🙂
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Je n’ai lu que La peau de chagrin (au siècle dernier) et je ne l’avais pas spécialement apprécié. Tu me donnes (presque) envie de retenter Balzac…
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N’hésite pas en tout cas ! Je ressors très motivés par les lectures que je viens de terminer.
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Très intéressante chronique sur le célibat des femmes vu par Balzac. Les femmes tiennent une grande place dans son œuvre, c’est aussi pour cela qu’il est un de mes auteurs préférés.
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Merci beaucoup Alain. Elles tinrent une grande place dans son oeuvre, mais aussi dans sa vie 🙂
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En relisant mon billet sur Pierrette, je vois que j’avais trouvé le roman, je cite, mal fichu, à cause de l’interminable exposition initiale, mais j’ai noté plein de formules vachardes très réussies. Balzac est un épouvantable misogyne mais alors il le dit bien !
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Le curé de Tours est plus incisif, mais la tension dans Pierrette est tout aussi palpable. Merci pour ton commentaire !
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Quelle cruauté, mais quelle finesse! Quel style mais quelle misogynie
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je rajoute un lien ici
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Tout à fait d’accord avec ton billet et sa conclusion !
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En tous les cas, dans l’avant-dernière citation, Balzac ne devait pas trouver très belle les femmes de 50 ans pour les comparer à cette pauvre Sylvie Rogron! 😉
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Peut-être ! Mais rendons justice à l’auteur en signalant qu’il dresse un portrait aussi peu flatteur du frère 🙂
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Je ne sais que dire que je n’ai pas dit pour le Colonel Chabert : mais là encore très envie de lire ces histoires de bêtises et de cupidités qui, en effet, sont des thématiques dont tu pourras te délecter chez le Cousin Pons et la Cousine Bette !
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Ils sont sur ma liste désormais, c’est un vrai plaisir de lire Balzac, et c’est grâce à toi que je le redécouvre, merci !
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Merci d’avoir aussi initié cette petite quinzaine, ça m’a permis de m’y replonger également !
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je n’ai pas lu Pierrette mais je devine bien la peinture de Balzac de la méchanceté humaine
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Je l’imagine !
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Je ne connaissais même plus ce titre ! Les portraits des célibataires : savoureux !
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Et en lisant Balzac, on devine l’énergie qui l’animait dans l’écriture, c’est un vrai plaisir !
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