Premier roman écrit par Paul Saint Bris, L’allègement des vernis vient d’être récompensé par le Prix Orange du Livre 2023. Parmi les précédents lauréats, j’avais chroniqué il y a quelques années l’excellent Défaite des maîtres et possesseurs, de Vincent Message, alors qu’Eva s’enthousiasmait l’an dernier pour L’autre moitié du monde de Laurine Roux. Dans le présent opus, il est question de la restauration de La Joconde, qui doit justement subir un allègement des vernis…
Tout d’abord un petit mot sur l’écrivain, Paul Saint Bris. Il travaille dans le domaine de la publicité, il s’intéresse beaucoup à la thématique de l’image. De la famille des Saint Bris qui possèdent la dernière résidence de Léonard de Vinci, le Clos Lucé, il a toujours été sensible à l’oeuvre du grand artiste italien et à la première d’entre elles, la Joconde. Autant de thèmes que nous retrouvons dans ce livre.
Dans le roman, Aurélien est conservateur au Louvre et sa responsable est la nouvelle directrice, Daphné Léon Belville, qui, dans un style très différent de ses prédécesseurs, fait appel à des cabinets de conseil pour réfléchir sur l’attractivité de l’institution. Une idée « disruptive » émerge : celle de créer « le buzz » en organisant la restauration de la pièce maîtresse qu’est La Joconde. Aurélien sera charger de trouver la personne idoine chargée de cette tâche des plus complexes, un voyage qui l’emménera en Italie et guidera le lecteur à travers les étapes de cet « allègement », avant de conclure de façon inattendue le récit.
La première partie du roman est très intéressante ; au-delà de l’intrigue qui se met en place, elle propose une réflexion pertinente sur l’image et les stratégies marketing, qui se substituent à l’art :
La parole scientifique, celles des experts et des historiens, s’était effacée derrière la communication, bien plus à même de garantir des entrées et de faire progresser les chiffres de la billetterie. Le savoir n’était plus assez vendeur, de toute façon Wikipédia avait réponse à tout. L’expérience ou plutôt la promesse d’expérience avait pris le relais de la connaissance. En conséquence, les lieux de patrimoine mettaient en oeuvre des stratégies marketing sophistiquées. Le discours dit aspirationnel promouvait le musée comme un décor pour la mise en scène de soi, au même titre qu’un intérieur scandinave ou qu’une critique déserte à l’eau turquoise. Visiter un musée participait du statut social, un marqueur fiable d’un lifestyle éclairé comme la dégustation de jus pressés à froid ou le port d’une montre connectée. A condition de pouvoir en témoigner. Les réseaux sociaux étaient là pour ça. Qu’importe si les populations narcissiques, absorbées par leur reflet, tournaient le dos aux plus beaux chefs-d’oeuvre de la peinture.
On en apprend beaucoup sur le métier de restaurateur des oeuvres d’art, sur le vernissage, sur les différentes théories autour de l’évolution d’une oeuvre (lui rendre ses couleurs brutes ou laisser la patine du temps) :
Souvent effectuée à la demande de copistes désireux de mieux discerner les détails de leurs modèles, l’application d’une nouvelle pellicule de vernis sur des vernis anciens avait l’avantagede leur rendre pour un temps leur transparence. On appelait ce procédé « régénération » – ce qui faisait davantage penser à une crème de L’Oréal qu’au Titien. Mais inéluctablement la nouvelle couche s’oxydai pour devenir elle-même un film opaque et jaune, réclamant un autre vernissage. C’est ainsi que s’empilaient sur La Joconde de multiples couches de vernis, de formulations variées, gomme-laque, résine, qui la plongeaient dans une brume obscure et dénaturaient ses couleurs.
J’ai trouvé que ce livre était bien écrit, que les personnages, notamment celui d’Aurélien -conservateur dans les deux sens du terme et au caractère un peu désuet-, étaient bien brossés. Néanmoins, quelques passages auraient pu être raccourcis et, dans la seconde moitié du livre, certaines situations apparaissent peu vraisemblables. Au final un bon moment de lecture mais pas inoubliable.
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L’allègement des vernis, de Paul Saint Bris. Philippe Rey, 2023, 359 pages.
Dommage pour la deuxième partie . Le passage sur la façon dont les gens tournent le dos aux chef d’œuvre pour se prendre en selfie est hélas tellement vrai.
Je vais essayer de retenir la phrase : »l’expérience à pris le relais de la connaissance »
Elle me fait réfléchir.
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Oui, c’est une belle phrase, n’est-ce pas ? Je suis peut-être un peu sévère mais surtout, n’hésite pas à le lire si tu en as la possibilité.
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Le roman de V Message, quelle lecture, en effet! Paul Saint bris méritait bien aussi un prix, allez!
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J’ai vu que c’était un coup de coeur pour toi :-). J’ai trouvé le livre de Vincent Message bien meilleur quand même !
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Des thèmes meilleurs, et une grande idée de réalisation!
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Gonzague Saint Bris est un écrivain assez célèbre (que je n’ai jamais lu) et j’ai l’impression que Paul Saint Bris (son fils ? ou son neveu ?) ne t’a pas convaincu…
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En fait, c’est son neveu. Disons que j’ai vraiment bien aimé une bonne partie du livre mais que le souffle est retombé au fil des pages.
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Je crois que Keisha a beaucoup aimé ce roman aussi. Puisque tu évoques le Clos Lucé à Amboise, je me permets de dire en aparté que la maison et le jardin se visitent et que ça vaut le coup
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Merci pour ton commentaire et cette très belle idée de sortie !
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Il me tente celui-là. Dommage ton bemol
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C’est un avis parmi d’autres, et la majorité est plus positive que moi. N’hésite pas à te faire ta propre opinion en le lisant.
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Je suis d’accord avec toi : à emprunter. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait.
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