Les éditions La Baconnière ont eu la bonne idée de rééditer en 2020 La Fabrique d’Absolu, de Karel Čapek, basée sur une traduction certes ancienne, mais revue avec des noms propres non francisés, ce qui est appréciable ! Il y est question de l’invention d’une machine révolutionnaire, le Carburateur…
L’ingénieur Marek met en vente l’appareil qu’il vient d’inventer : le Carburateur, capable de produire beaucoup d’énergie à partir de peu de matière et sans produire de déchets : une révolution en perspective !
Tu n’as pas la moindre idée de l’énergie formidable qui existe dans les atomes. Avec un demi-quintal de houille, tu peux faire faire le tour du monde à un steamer, éclairer Prague tout entière, faire fonctionner une usine, ou tout ce que tu voudras ; avec un morceau de charbon gros comme une noisette, tu chaufferas et feras cuire la nourriture de toute une famille ; et, finalement, on n’aura même pas besoin de charbon, on se chauffera avec le premier cailloui venu, ou avec une poignée de terre ramassée devant sa maison. Chaque parcelle de matière possède en soi plus d’énergie qu’une énorme chaudière à vapeur. Suffit de la faire sortir !
Pas de déchets, certes, mais la combustion provoque la libération de l’Absolu, c’est-à-dire d’une puissance divine, ce qui fait que l’ingénieur Marek s’inquiète des conséquences de son invention, ce qu’il partage avec l’industriel Bondy, sur le point de développer le Carburateur à grande échelle :
Il révolutionnera le monde techniquement et socialement. Il diminuera dans d’immenses proportions les frais de fabrication. Il supprimera la misère et la faim ; il empêchera un jour notre planète d’être recouverte de glaces. Par contre, il projette Dieu comme s’il s’agissait d’un simple sous-produit. Je t’en conjure, Bondy, ne sous-estime pas cela. Nous n’avons pas l’habitude de compter avec le véritable Dieu. Nous ne savons pas ce que sa présence peut perpétrer au point de vue culturel, moral, etc. Mon vieux, c’est la civilisation humaine qui est en jeu !
Ce qui était à craindre se réalise et l’Absolu devient rapidement incontrôlable. Il répand la foi sur toutes les personnes qui s’en approchent, avant de prendre lui-même le contrôle de la production des biens.
Ce livre est d’une grande richesse de thèmes : la recherche du profit, celle de la production d’une énergie limitée, les méfaits du progrès, l’intolérance, les dangers du fanatisme religieux et in fine, l’absurdité de la guerre. Ce livre est également très humoristique, comme l’illustre ce passage où l’ingénieur Marek et l’industriel Bondy consultent le Cardinal avant de produire le Carburateur :
Messieurs, ne croyez pas, je vous en conjure, que l’Eglise fait pénétrer Dieu dans le monde. L’Eglise ne fait que le contenir et le canaliser. Vous, Messieurs les athées, vous le déchaînez comme une inondation.
Ecrit en 1922, ce récit dystopique conserve une grande actualité. Les thèmes sont universels et certains passages font penser aux dérives attendues de l’Intelligence Artificielle ou à notre quête de société d’abondance. L’auteur est fidèle à sa ligne « humaniste » :
_ (…) Vous savez, plus grande est la chose à laquelle on croit, plus on est acharné à mépriser ceux qui n’y croient pas. Et pourtant, la plus grande Foi ce serait de croire en l’homme.
Ma dernière rencontre avec Karel Čapek date de la lecture de La maladie blanche, un autre roman dystopique écrit 15 ans plus tard, qui a retrouvé une grande actualité avec l’épidémie de Covid-19, et qui est à mon sens supérieur à La Fabrique d’Absolu. Ce dernier aurait gagné à être quelque peu raccourci pour être plus incisif. Il confirme néanmoins qu’il faut relire Čapek, un grand écrivain du XXème siècle.
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La Fabrique d’Absolu, de Karel Čapek, traduit du tchèque par Jirina et Jean Danès. Editions La Baconnière, collection dirigée par Ibolya Virag. 2020, 300 pages.
Haha, quel auteur. Ma bibli a une tendance désastreuse à le caser ‘en réserve’, mais bah c’est mieux que le pilon.
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Oh, mais il mérite bien mieux et les récentes rééditions en sont une vive illustration 🙂
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J’avais adoré l’année du jardinier l’humour de cet écrivain me fait du bien
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Je suis tout à fait d’accord avec toi, aussi bien sur « L’année du jardinier » que sur l’humour de l’écrivain !
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Je pense suivre ton conseil à la lettre et le chercher dans ma médiathèque. C’est en tous cas une bonne nouvelle de voir de tels auteurs réédités, surtout dans une traduction modernisée.
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N’hésite pas, lire un de ses livres est un vrai plaisir et un vrai changement de style par rapport à d’autres auteurs.
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Pas encore lu mais j’avais beaucoup aimé la guerre des Salamandres, je pensais continuer ma découverte de l’auteur avec celui-ci ou avec la maladie blanche.
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« La guerre des Salamandres » est toujours sur ma liste. Je te conseille « La maladie blanche » en priorité.
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Merci pour ton conseil 🙂
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tiens tiens… intéressant, et si en plus c’est drôle, hop !
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Capek a un style humoristique même pour faire passer des messages très sérieux. A découvrir si tu ne l’as jamais lu.
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J’avais adoré La guerre des Salamandres, donc ton article me donne envie d’aller repiocher dans la bibliographie de cet auteur qui me semble toujours intéressant, actuel et plein d’esprit !
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« La guerre des Salamandres » fait toujours partie de ma PAL ! N’hésite vraiment pas à lire ses autres titres. Si cela peut te motiver, je pensais chroniquer « Contes d’une poche et d’une autre poche » lors du Mois de l’Europe de l’Est en mars prochain. On pourrait en faire une lecture commune si ça t’intéresse.
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Je te souhaite autant de plaisir que moi quand tu le sortiras de ta PAL alors !
Merci beaucoup pour la proposition ! Pourquoi pas, oui ! Je ne me serais pas tournée instinctivement vers ce titre étant un peu réfractaire au genre de la nouvelle, mais ça peut être l’occasion ou jamais d’avoir une excellente raison de le découvrir !
On se note l’idée dans un coin et on en reparle ?
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Oh, je ne connais pas ce titre de l’auteur, merci pour la découverte 🙂
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