Tamta Mélachvili – Merle, merle, mûre

On quitte aujourd’hui les contrées de littérature germanophone qui a dominé sur ce blog ces derniers temps pour s’envoler vers la Géorgie avec ce beau roman sorti de la plume de Tamta Mélachvili, intitulé Merle, merle, mûre, que j’ai lu au cours du mois de décembre et que je regrette de ne pas avoir chroniqué avant Noël pour que vous puissiez le glisser sous le sapin de Noël d’une amie. Après avoir lu mon billet, il sera toujours temps de l’ajouter à la liste de vos idées pour des cadeaux tardifs !

Étéri, au seuil de la cinquantaine, tient une petite boutique avec des produits d’hygiène dans un garage bien aménagé à cet effet à deux pas de chez elle. Cet endroit, que tout le monde appelle une parfumerie, est son petit paradis à elle et aussi un ticket pour une future retraite tranquille. A ses clientes, elle offre, à part une large gamme de produits à des prix raisonnables, une oreille attentive (et une bouche cousue). Ainsi, elle connait leurs peines et leurs problèmes familiaux.

L’odeur du magasin tôt le matin, cette odeur d’humidité et de lessive en poudre j’aime bien, ça me calme. C’est cette odeur qui me dit : « Tout ira bien, Étéri, c’est ce que tu as toujours voulu ! Voilà ! Tu as une maison, une cour, un magasin, de quoi gagner ta vie, quelques économies, alors n’aie pas peur ! Attends simplement tes vieux jours, ta belle et calme retraite, ce temps que tu as toujours voulu, tes vieux jours comme tu te les imagines, dont tu as toujours rêvé ! » C’est magnifique, mais c’était sans compter sur cet homme.

Un jour, Étéri va vers le fleuve Rioni pour y cueillir des mûres et échappe de justesse à un accident. Elle a failli se noyer ! Cet événement lui servira de coup de fouet et elle fera ensuite une chose totalement imprévue. On suit donc une Etéri métamorphosée, revigorée qui commente sa vie et son entourage.

Mais moi, ma vie, ça a été quoi, au juste ? Elle n’a duré qu’une seconde. Imaginons que quelqu’un me demande : « Alors, Étéri, raconte-moi un peu ta vie ! », qu’est-ce que je lui répondrais ?

Même si quelques virus de passage dans notre famille m’ont contrainte à faire des pauses de lecture plus longues que souhaitées, je me suis glissée dans ce roman à chaque fois comme si je rentrais dans mes vieilles pantoufles favorites, bien adaptées à mon pied. J’ai tellement aimé suivre les pensées d’Étéri, la voir s’affranchir, prendre progressivement courage, donner symboliquement un coup dans les fesses des petits villageois. Naturellement et avec une belle fluidité, elle raconte son enfance difficile marquée par l’absence de sa mère, son travail dans la parfumerie et, à travers ses voisines et ses amies de jeunesse, elle donne une voix aux femmes dans cette société patriarcale. Derrière le tout ressort l’histoire de la Géorgie, d’un pays si abîmé, comme c’est le cas pour tant d’autres, par la présence de son voisin russe.

Quand tu atteins la quarantaine, les gens commencent à lâcher l’affaire, mais jusqu’à cet âge-là on me harcelait sans cesse. Peu importe ce qu’ils achetaient, que ce soit un savon, un torchon ou un rouleau de papier de toilette, ils me demandaient tout de suite : « Mais quand est-ce que tu vas te marier, ma fille ? » Moi, je répondais que je n’avais pas envie, et quand ils me demandaient pourquoi, je disais simplement que je ne voulais pas, c’est tout, et ma réponse les rendait perplexes, parce qu’ils ne s’attendaient pas à entendre une chose pareille, surtout pas d’une femme, parce que les femmes ne doivent jamais dire qu’elles n’ont pas envie de faire quelque chose. Vouloir ou ne pas vouloir, c’est une affaire d’hommes, ça fait partie de leur langage à eux.

A lire !

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Merle, merle, mûre, de Tamta Mélachvili, traduit du géorgien par Alexander Bainbridge et Khatouna Kapanadzé. Tropismes, 2023, 250 pages.

16 réflexions sur “Tamta Mélachvili – Merle, merle, mûre

  1. Avatar de nathalie nathalie 10 janvier 2024 / 07:57

    Il y a des merles et des mûres, alors forcément cela suffit presque pour me convaincre ! (non mais ton billet est bien et utile aussi)

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:39

      Je ne m’y connais pas très bien en ornithologie, mais sur Babelio, une lectrice fait un parallèle intéressant entre un merle et le caractère d’Étéri 🙂 En tout cas, c’est un personnage que j’ai beaucoup apprécié et j’espère qu’il en sera de même pour toi.

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  2. Avatar de Sacha Sacha 10 janvier 2024 / 08:30

    Après La 8e vie, j’ai bien envie de retourner en Géorgie avec ce roman. Étéri, en femme discrète mais indépendante, me plaira, je le sens !

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:40

      Elle te plaira sans doute ! Sa voix intérieure est très naturelle et honnête.

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  3. Avatar de Miriam Panigel Miriam Panigel 10 janvier 2024 / 10:13

    Encore une tentation! les merles, les mûres, la Géorgie….et justement pas de mois de Littérature de l’Est! Il aurait été parfait pour le challenge. Je radote!

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:41

      Tu as raison, Miriam ! Je me disais la même chose en lisant 🙂 Peut-être auras-tu l’occasion de t’organiser avec d’autres personnes pour une lecture commune ? C’est un roman sur lequel on aime bien échanger par la suite.

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:42

      Merci beaucoup Alex, on est à nouveau en forme ! J’espère que tu vas bien, toi aussi.

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  4. Avatar de Sunalee Sunalee 13 janvier 2024 / 08:59

    Un roman géorgien traduit ? c’est tentant ! Merci pour la suggestion.
    (J’ai été en Géorgie en juin passé et j’ai adoré).

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:42

      Si tu as pu voyager en Géorgie, ça augmentera sûrement le plaisir de la lecture ! Il y a quelques romans géorgiens très intéressants, j’espère que d’autres traductions vont suivre.

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  5. Avatar de aifelle aifelle 14 janvier 2024 / 16:34

    Je ne crois pas avoir lu un roman géorgien jusqu’à présent. Raison de plus pour noter celui-ci qui m’a l’air d’être très agréable à découvrir.

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    • Avatar de Eva Eva 16 janvier 2024 / 19:43

      Pas encore lu un roman géorgien ? Si Livr’escapades passe par ici, elle te mettra dans le lot des personnes (où je figure aussi) auxquelles il faut imposer (avec la méthode douce) la lecture de « La huitième vie » 🙂 En attendant, je te conseille chaleureusement cette histoire d’Étéri – c’est une lecture très agréable.

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