
Josef Pánek est un chercheur en génétique moléculaire tchèque dont le premier roman L’amour au temps du changement climatique fut lauréat du Prix Magnesia Litera en 2019, le plus important prix littéraire de République Tchèque. Il met en scène Tomáš, chercheur lui-aussi, se rendant à un colloque à Bangalore, en Inde.
Avant de s’intéresser au contenu du livre à proprement parler, attardons-nous sur le style de la narration. Le narrateur omniscient semble s’adresse à Tomáš avec un « vous » omniprésent qui déstabilise le lecteur dans les premières pages avant de créer une réelle habitude de lecture qui fait de ce livre une vraie réussite. Les phrases sont parfois très longues, entrecoupées de nombreuses virgules, commençant souvent par « Et » ; de nombreuses répétitions jalonnent le récit. Sur ce point, L’amour au temps du changement climatique représente déjà un réel dépaysement !
Un dépaysement qui est également le lot de Tomáš. Déboussolé, rempli d’idées reçues sur l’Inde et ses habitants, il est déstabilisé par ce qu’il voit :
Il y a des feux qui brûlent à même le goudron, des tas de pneus usagés qui servent d’habitation, des bouts de viande sanguinolente, des vaches dans les rues, des moutons égorgés mais toujours attachés par le cou, un ruisseau bordé d’une palissade de 5 m de hauteur avec une corniche rempli de détritus, d’eaux usées, de saloperies (…). Et ainsi de suite, des pneus qui brûlent, des feux de déchets qui couvent, des feux à même le goudron et partout, au milieu, il y a des gens, des femmes en saris bariolés, leurs bicoques sont faites avec des guenilles, des bouts de tôle et des vieux pneus, couvertes de couleurs diverses et passées, et vous qui avez parcouru le monde entier, qui avez vécu 3 ans à Bergen, en Norvège, et 7 ans à Brisbane, dans le Queensland, en Australie, et qui n’avez jamais fait la moindre photo, voilà que votre téléphone en est plein, et, quand vous les prenez en photo, ils vous adressent de larges, de radieux sourires, sont attentifs et se laissent faire pour ensuite vous prendre des mains votre téléphone, tendrement, et vous sourire et disparaître avec et puis vous le ramener, et vous, vous avez peur de le toucher parce que vous avez peur de leur dysenterie, de leur peste, de leur typhus, de leur hépatite et de leur SIDA.
Tomáš essaie de prendre ses repères dans son hôtel, dans les quartiers environnants ; ses préjugés vont néanmoins être remis en question grâce à la rencontre avec une jeune doctorante indienne, très belle, mais il hésite entre attirance et appréhension en raison de sa couleur de peau… Si l’essentiel du roman traite de l’Inde au présent, une partie importante est également consacrée à un voyage en Islande que Tomáš avait réalisé dans sa jeunesse après la Chute du mur. Les deux parties ont en commun le fait de montrer le rapport à l’autre dans un pays où l’on est étranger.
Et de toute façon, elle vous dit pour conclure, comme tu n’es pas indien, tu ne peux pas comprendre ce que je suis en train de te dire.
Ce roman est riche car il aborde de nombreux thèmes : les problèmes de communication ; le racisme bien sûr, mais plus généralement l’intolérance, la différence, l’attitude vis-à-vis des gens qui arrivent d’un pays et d’une culture différents. Chacun porte l’étiquette de sa nationalité et fait l’objet de préjugés. Une intolérance qui s’exerce également à l’intérieur d’un même pays, d’une même famille. Josef Pánek montre l’absurdité du racisme dans un monde où les populations sont en mouvement.
Enfin, ce roman illustre le talent de conteur de l’auteur, que ce soit avec le choix narratif adopté, ou encore dans la partie consacrée à l’Islande qui est passionnante à lire.
Une très belle découverte que je vous conseille de lire à votre tour :
X en l’achetant chez votre libraire
X ou en l’empruntant dans votre bibliothèque
de lire autre chose
L’amour au temps du changement climatique, de Josef Pánek, traduit du tchèque par Benoît Meunier. Denoël, 2020, 238 pages.
ce billet donne une envie de se plonger immédiatement dans cette lecture mais je suis bien obligée de modérer mes pulsions je n’arrive pas à diminuer le tas de livres à lire chez moi !
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Je comprends, je crois que c’est un peu le « problème » que nous connaissons toutes et tous ! Note le en tout cas, comme je le signalais, ce livre est un vrai dépaysement !
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Le titre est déjà un joli clin d’oeil et les sujets abordés m’intéressent au plus haut point! Je trouve particulièrement judicieux de montrer que le dépaysement et la difficulté à communiquer peuvent aussi surgir dans un pays a priori assez proche de nous.
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Je pensais initialement que le titre renvoyait à la crise climatique, mais non ; il s’agit plutôt de notre époque en général où les mouvements de population sont légion (et que le réchauffement climatique va renforcer). Oui, tu as raison, il met en évidence la difficulté de communiquer dans un milieu très différent mais également censé être plus proche de celui du narrateur.
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Je le note.
Au fait ! Et le Docteur Pascal ? Toujours envie d’une lecture commune? J’en ai lu un bon tiers. Je vous attends pour fixer la date des billets sur le blog. Je propose le 26 février parce que j rentre le 24 mais cela peut être plus tard
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Bonjour Miriam, ah, notre célèbre Docteur Pascal :-). J’en suis aux deux-tiers (j’ai trouvé le premier tiers un peu laborieux d’ailleurs), donc ça tient toujours ! On a déjà une LC calée le 25 février sur un autre titre, donc je préférerais plus tard : le 29 par exemple ?
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@Patrice : le 29 sera parfait. Nous serons rentrees du midi et j’aurai le temps de saisir le compte-rendu avec l ordi que je n emporte jamais en vacances
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Belle trouvaille ! J’aime beaucoup le titre et le sujet ne peut pas laisser indifférent.
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Merci, j’essaie de suivre les traductions françaises d’oeuvres tchèques contemporaines ; même si elles ne sont pas si nombreuses, on y fait souvent de belles découvertes, et ce livre en fait pleinement partie.
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Oui pour la thématique, un peu plus freinée par ce « vous »… même si ça a l’air justifié.
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