Ladislav Fuks – Monsieur Mundstock

Il y a 100 naissait l’auteur tchèque Ladislav Fuks. Il s’est fait connaître majoritairement pour deux titres : L’incinérateur de cadavres, que j’ai eu l’occasion de chroniquer sur ce blog, et Monsieur Mundstock, son premier roman paru en 1963, et qui fait l’objet de ma chronique du jour.

Théodore Mundstock est un ancien employé d’une entreprise de cordages ; il est désormais occupé à balayer les rues, portant sur la poitrine l’étoile jaune. Nous sommes en 1942, à Prague, et notre homme est oppressé. Il est suivi par son ombre, qui s’appelle Môn :

Môn ? Il ne le connaissait même pas avant la guerre. Il n’est affublé de lui que depuis le premier jour de l’Occupation. Il peut lui pointer sa date de naissance sur un calendrier, c’est une date dont on se souvient toute sa vie.

Hanté par la perspective d’être déporté dans un camp de concentration, il ouvre chaque jour sa boîte aux lettres en appréhendant d’y trouver la lettre. Autour de lui, un à un, les autres Juifs sont déportés. Il rend visite à une famille, les Stern, à laquelle il essaie d’insuffler l’espoir d’une fin prochaine de la guerre et de l’arrêt des déportations :

Qu’est-ce qu’un désespéré pouvait avoir de plus précieux, dans l’ombre et l’amertume, que le pressentissement de l’espoir et du salut ! La pire chose au monde n’était-elle pas de perdre l’espoir et de sentir sa fin venue ? Non seulement ses pensées l’apaisèrent, mais elles l’emplirent même d’un sentiment de bonheur inattendu.

Soudain, Monsieur Mundstock a une idée qui le libère : il imagine son ancien collègue Mr Vorjahren en train d’être déporté, dans les camps. Il se projette avec lui et décide de s’entraîner à toutes les épreuves qui l’attendent : porter une valise très lourde, dormir sur un lit en planches… Chaque découverte d’un nouveau défi, au lieu d’accabler notre homme, le ragaillardit. Il a enfin retrouvé sa raison de vivre :

Voilà pourquoi monsieur Vorjahren se tortillait en se couchant. Il n’a pas l’habitude de dormir sur des plantes. Ca le pousse dans le dos. Bien sûr. Monsieur Mundstock en rougit de joie. Il a encore découvert quelque chose. Que lui non plus n’a pas l’habitude des planches. Ca fait bien trente ans qu’il dort sur le lit moelleux qu’il tire le soir du canapé. Bien trente ans, canapé le jour, lit la nuit. Il sait que, désormais, ça va changer du tout au tout. Parlons-en du lit, quelle incongruité, c’est fini le lit. Quand il ira se coucher, sous peu, il mettra la plante à repasser sur le canapé. Mais il ne va pas tout de suite la chercher. Adossé au mur, il fronce les sourcils. Est-ce qu’il peut aller dormir ? Ce n’est pas encore fini, voyons. Ils sont couchés et la nuit commence.

Cette partie, où l’humour noir est omniprésent, est de loin la plus réussie du livre.

Monsieur Mundstock est un livre assez étrange, qui rappelle l’univers noir de L’incinérateur de cadavres. Il montre à quel point la discrimination détruit l’équilibre psychologique des individus. Victime d’hallucinations, de malaise, Monsieur Mundstock est conditionné par cet environnement hostile même sans menace physique réelle. Dès qu’il voit une voiture allemande s’arrêter devant son immeuble, il enfile sa veste avec l’étoile jaune et se prépare à porter sa valise. La convocation arrive finalement comme une libération, tant il est convaincu que sa préparation l’aidera à survivre. Je laisse le lecteur découvrir si ce sera le cas.

Je ressors de ce livre avec un sentiment assez mitigé, ayant parfois eu des difficultés à m’immiscer dans l’univers de l’auteur.

Achetez le livre chez votre libraire

X Empruntez-le dans votre bibliothèque

X Lisez autre chose

Monsieur Mundstock, de Ladislav Fuks, traduit du tchèque par Barthélemy Müller. Editions L’Engloutemps, 2004, 268 pages.

8 réflexions sur “Ladislav Fuks – Monsieur Mundstock

  1. Avatar de Sacha Sacha 10 avril 2024 / 10:55

    Je crois que j’aurais du mal à y entrer moi aussi. Pourtant, les mécanismes psychologiques à l’oeuvre dans cette ambiance de terreur sont passionnants et il me semble que la déportation et la shoah ont peu été abordées sous cet angle.

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 15 avril 2024 / 07:29

      Tu as raison, c’est une façon relativement nouvelle d’aborder la shoah ; on perçoit à quel point Mundstock dérive vers la folie et plus généralement que l’individu cherche à s’appuyer sur le peu de certitudes qu’il lui reste.

      J’aime

  2. Avatar de Fanja Fanja 10 avril 2024 / 23:55

    J’ai l’impression que l’humour noir ici pourrait beaucoup me plaire. Je lisais déjà ce billet le sourire aux lèvres rien qu’en imaginant les situations.

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 15 avril 2024 / 07:33

      Merci pour ton commentaire. C’est ce que j’ai cru aussi, mais l’ambiance est pesante néanmoins.

      J’aime

    • Avatar de Patrice Patrice 15 avril 2024 / 07:34

      Oui, c’est ce que te conseille. Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion de découvrir un auteur intéressant, mais méconnu en France.

      J’aime

  3. Avatar de luocine luocine 11 avril 2024 / 14:19

    si je comprends bien il vaut mieux lire « l’incinérateur de cadavres » enfin peut-être !

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 15 avril 2024 / 07:35

      Je le confirme et il ne faut pas se laisser apeurer par le titre.

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.