Curieux nom pour un livre, vous ne trouvez pas ? Publié en 1967 et traduit en 2004 pour le lectorat francophone, L’incinérateur de cadavres est un livre quelque peu inclassable, écrit par l’auteur tchèque Ladislav Fuks. Il met en scène un petit bourgeois, Mr Kopfkingl, travaillant dans un crématorium, et qui se fait petit à petit influencer par le discours totalitaire qui se répand dans son pays, la Tchécoslovaquie, au moment de l’annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie.

Si le livre de Ladislav Fuks est devenu un classique, il le doit notamment au film qui en a été tiré. Sorti en 1969 en Tchécoslovaquie, et réalisé par Juraj Herz, il retranscrit le livre avec une atmosphère saisissante, notamment grâce à la performance de l’acteur principal, Rudolf Hrušinský. Ce dernier, disparu en 1994, était un talentueux acteur, connu pour ses prestations dans des films très différents comme Le brave soldat Svejk (d’après le roman de Hašek) ou encore Mon cher petit village, un film attachant mettant en scène l’idiot du village et un chauffeur de camion de la ferme d’Etat, et dans lequel Hrušinský campe le personnage d’un médecin rêveur, se délectant de la beauté de la campagne environnante. Comme « L’incinérateur de cadavres », Mon cher petit village est également disponible en DVD en français grâce à la collection Malavida.
Monsieur Kopfrkingl est un croque-mort. Quand s’ouvre le récit, il visite un zoo en compagnie de son épouse. C’est en effet là qu’il l’a rencontrée il y a 17 ans. Il est certes un homme très affable, attentionné auprès de sa famille, très fier de l’aménagement de son appartement mais il est étrange et répète des banalités. Son univers étriqué est complété par une épouse soumise et des enfants peu épanouis. Il est surtout omnubilé par la mort et se montre un grand partisan de l’incinération des cadavres :
Cette femme a été déclarée morte, voilà ce qui compte. Ca vaut pratiquement loi, les lois sont faites pour servir les gens et nous devons les respecter. (…) La souffrance est un mal et nous devons faire ce qui est en notre pouvoir pour tenter de l’adoucir ou de l’écourter…
Son quotidien très réglé est agrémenté d’une visite régulière dans une maison close, alors qu’il jure fidélité à sa femme, et de la lecture régulière des faits divers. En arrière-plan, on perçoit l’atmosphère lourde de l’époque, marquée par la Conférence de Munich, l’occupation des Sudètes puis du pays par l’Allemagne nazie.
A la faveur de la visite d’un couple acquis à la cause allemande, notre bien étrange Mr Kopfrkingl, qui a des origines allemandes, résiste au discours fasciste de l’époque. Il perçoit le danger que représente l’action du Führer :
Ca peut tourner à l’enfer, dit monsieur Kopfrkingl parce qu’il lui semblait que Willi se taisait avec ostentation. L’enfer. A cause de Hitler…
Mais peu à peu, notre homme se laisse séduire. L’image positive que l’on renvoie de lui le flatte, on lui confie quelques missions et fait quelques promesses. Il entrevoit l’intérêt de sa mission.
C’est un livre que je vous conseille vivement, et ce pour plusieurs raisons. La première est liée à l’ambiance du livre, peu commune. Ladislav Fuks, en laissant souvent Kopfrkingl s’exprimer, en utilisant des répétitions, crée une tonalité particulière. Et que dire de notre personnage principal, qui parle sans cesse de la mort, même lors de l’anniversaire de sa fille. Une lecture inhabituelle !
La seconde est la portée universelle du message. Un petit-bourgeois flatté, intéressé par améliorer son confort quotidien et sa position dans la société, en vient à commettre l’irréparable. Cela nous montre comment des gens ordinaires se font séduire par ce genre de message.
Enfin, la troisième raison est la dialectique dont les partisans de l’Allemagne nazie usent pour justifier la chasse à l’ennemi et créer un sentiment de suspicion dans toute la société. Voici comment s’exprime Willi en face de Kopfrkingl :
Toute œuvre d’envergure naît dans l’hostilité que lui portent ses ennemis, dit Willi. (…) Les éléments nuisibles peuvent se cacher dans toutes les couches de la société, ce sont peut-être des savants, des artistes, des écrivains… d’ex-officiers de la police ou de l’armée tchécoslovaque, peut-être des prêtres… peut-être aussi de simples femmes de ménage, des mécaniciens, des chauffagistes, ou au contraire des marchands et des directeurs, des gens qui piquent, excitent, suscitent… et ils sont dangereux quand on ne les connaît pas. Quand on ne les connaît pas, on ne peut pas les transférer sur d’autres lieux de travail, les ficher, les suivre. On commettrait un crime contre l’humanité et contre le peuple allemand si on assistait sans broncher à leur travail de sape…
Un livre et un auteur à découvrir en résumé. J’ai également noté le premier livre écrit par Ladislav Fuks, Monsieur Mundstock, l’histoire d’un juif menacé de déportation et qui se prépare chez lui à la vie d’un camp.
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L’incinérateur de cadavres, de Ladislav Fuks, traduit du tchèque par Barthélémy Muller. L’Engouletemps, 2004, 228 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
décidemment les lectures du mois de l’est nous ramène à une époque que l’on croyait ne jamais connaître et qui frappe – et de quelle façon !- à la porte de l’europe .
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Oui, je suis bien d’accord avec toi, et c’est bien malheureux.
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je ne connais pas du tout (ni le film) il devrait me plaire, je le note 🙂
c’est vrai qu’on fait de belles découvertes avec ce challenge 🙂
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Merci, je voulais absolument mettre en avant ce genre de livres moins connus. Par contre, il est assez difficile à se procurer.
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j’ai vu je suis allée voir sur Internet mais je vais y arriver 🙂
ce challenge a un effet collatéral: achat compulsif 🙂
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Le titre m’a surprise, c’est accrocheur ^^ . Le contenu semble à la hauteur. Je découvre totalement ce titre et je le note, très intéressée.
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Merci, c’est une tonalité à part et cette lecture a été pour moi une très belle découverte.
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Je crois aussi que je pourrais aimer ce livre… Merci pour la belle suggestion qui parle fortement en ce moment.
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Des avis assez unanimes au final :-). Merci à toi pour le commentaire.
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Ça m’a l’air d’être un livre très intéressant et éclairé !
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Je confirme 🙂
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Merci !
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Les classiques tchèques ne sont pas arrivés jusqu’à moi. Je n’en avais jamais entendu parler. En tout cas, ça a l’air très intéressant.
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Il y en a beaucoup, tu as le choix si tu veux découvrir cette littérature !
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En voilà une nouvelle proposition originale, et fort tentante ! Mon prochain billet sera tchèque également, inspiré d’une idée de lecture piochée ici !
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Oui, et ta chronique m’a beaucoup réjoui !
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Je ne connaissais ni le livre ni le film. Le titre m’aurait peut-être rebutée, mais ta chronique donne envie de le lire. Merci pour cette suggestion.
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Merci pour ce commentaire !
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J’ai vu ce film plusieurs fois et l’ai découvert il y a longtemps. J’ai toujours adoré l’esthétique de ce film, et cette ambiance sordide et douceâtre que je n’ai retrouvé dans aucun classique. Et le comble, c’est que je ne savais même pas qu’il était issu d’un livre ! Merci beaucoup pour ce retour, je pense qu’il va faire partie des lectures que je ne dois pas ignorer 😁
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