André Gattolin & Richard Werly – Europe. Rallumer les étoiles

Le 9 mai 1950, Robert Schuman prononçait un discours qui fera date, marquant la création de la Communauté du Charbon et de l’Acier (CECA). Ce 9 mai est ainsi devenu la Journée de l’Europe. En cette année d’élections au Parlement Européen, dans un contexte où les parti « pro-européens » sont à la peine dans les sondages, notamment en France, il me semblait bon de parler d’un livre publié en 2020, Europe. Rallumer les étoiles, et rédigé par André Gattolin et Richard Werly.

Notre Europe est un puzzle dont nous cherchons sans cesse les ultimes morceaux, alors que d’autres s’évertuent à bousculer la table pour rendre notre quête impossible.

Cet essai s’inscrit dans la collection L’âme des peuples chez Nevicata, une collection que j’ai déjà pris le loisir de chroniquer sur ce blog à travers les titres suivants : Argentine, le tango des ambitions, Pays-Bas, les pieds sur terre, Hongrie, l’angoisse de la disparition. Elle a d’ailleurs été créée par Richard Werly lui-même, un journaliste franco-suisse que les auditeurs de l’émission Le nouvel esprit public connaissent bien et apprécient sûrement. Il est co-auteur de Europe. Rallumer les étoiles avec André Gattolin, universitaire et ancien sénateur que j’avais déjà écouté pour ses mises en garde vis-à-vis des pratiques de la Chine envers les pays démocratiques et notamment la France. Pour être complet, signalons que ce livre fut écrit durant la pandémie et la crise du Brexit.

A l’image des autres livres de la collection, le livre est scindé en deux parties : un récit sur le thème en question, et des entretiens menés avec des personnages d’horizons divers.

Dans la première partie, André Gattolin nous rappelle les défis auxquels l’Europe fait face : les conséquences de l’élargissement, le problème d’identité, les blessures liées à l’Histoire, une politique jugée trop technicienne. Il regrette le rôle trop important joué par le Conseil européen des chefs et d’Etat et le risque de blocage engendré par l’égalité de la représentation, quelle que soit la taille des différents pays. Un des aspects très intéressants de son exposé est le rapport à l’Histoire : si la construction européenne a été faite en réaction à ce qui se passa durant la Seconde Guerre Mondiale, il regrette que les principes libéraux d’un grand marché ouvert l’aient emporté trop facilement au détriment de l’aspect culturel :

Tout en revendiquant sa diversité, l’Union l’assume très mal. Elle préfère garder en filigrane la richesse de son histoire. Elle s’est anonymisée, incapable de dépasser l’horizon tracé par son noyau initial de six pays et de pères fondateurs, tous atlantistes et issus de la famille démo-chrétienne.

Il propose, entre autres, d’agir sur le double moteur que constituent la culture et l’enseignement, suggère d’organiser des consultations directes consultatives.

La seconde partie est, comme souvent, très intéressante, car elle regroupe des entretiens de personnalités apportant chacune leur éclairage : citons la gestion de la dette grecque et le risque d’avoir une Europe trop allemande marquée par des rigidités financières et les normes (Marc Mazower), la prise de conscience que les peuples européens sont reliés depuis longtemps entre eux et la nécessité de remplacer l’idée d’identité par celle d’appartenance (Paolo Rumiz), et encore la question de l’enseignement de l’Histoire, à travers l’expérience de l’ancien ministre Alain Lamassource dans le cadre d’un observatoire européen. C’est celui des 5 entretiens que j’ai préféré car il montre à quel point l’enseignement de l’histoire (et donc de l’histoire de l’Europe) varie selon les Etats. Il revêt dans certains cas un caractère très nationaliste :

Alors que nous avons réussi, depuis 1957 avec le traité de Rome, ce véritable miracle historique de la réconciliation entre nos peuples grâce à la construction européenne – sans précédent dans l’histoire-, les manuels de ces pays distillent une version biaisée du passé, oublieuse de tous les efforts faits pour rapprocher les peuples. C’est gravissime. Je constate en effet qu’au-delà de la période spécifique ouverte par le traité de Rome, les efforts antérieurs de rapprochement sont oubliés de ces manuels propagandistes, centrés sur la grandeur de telle ou telle nation. (…) Je vais m’attarder sur un cas, en dehors de l’Union, mais extrêmement significatif à mes yeux. C’est celui de la Bosnie-Herzégovine, placée de fait sous mandat européen depuis les accords de paix de Dayton de 1995. Et il est effarant. Pour respecter les formes d’un soi-disant consensus national, les établissements scolaires y accueillent évidemment des enfants de toutes confessions. Mais dès que vous passez le portail d’entrée, vous comprenez qu’en 2020, les gamins orthodoxes y sont scolarisés au 1er étage, les catholiques au 2e et les musulmans au 3e. Chacun, sur la base d’un manuel d’histoire différent !

Alain Lamassoure y ajoute également un autre exemple frappant en Hongrie sur les livres, ou plutôt le livre unique d’histoire utilisé dans l’enseignement :

C’est le cas en Hongrie où, comme par hasard, cet éditeur est désormais contrôlé par des proches du Premier ministre Viktor Orban. Cela ne vous surprendra pas, mais il faut le savoir : aucun livre d’histoire hongrois ne présente d’une façon neutre, objective, le traité du Trianon qui, en 1920, mit fin à la grande Hongrie après la Première Guerre mondiale, et dépeça son territoire.

Oui, il faut rallumer les étoiles de cette Europe dont nous faisons tous partie et l’on perçoit qu’il reste du chemin à faire. Cela tombe bien, nous votons le 9 juin 2024 !

Je vous conseille :

X d’acheter ce livre chez votre libraire, sur liseuse ou via le site des éditions Nevicata

X de l’emprunter dans votre bibliothèque

lire plutôt autre chose

Europe. Rallumer les étoiles, de André Gattolin et Richard Werly. Collection L’âme des peuples, éditions Nevicata. 2014. 150 p.

6 réflexions sur “André Gattolin & Richard Werly – Europe. Rallumer les étoiles

  1. Avatar de Sacha Sacha 9 Mai 2024 / 16:59

    Un beau titre pour une belle idée… Il y a eu un manuel d’histoire franco-allemand pour les lycéens dans cette volonté de raconter l’Histoire autrement, c’était un premier pas mais il n’a malheureusement pas eu beaucoup de succès à ma connaissance.

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    • Avatar de Patrice Patrice 26 Mai 2024 / 17:44

      Tu as raison ; il est d’ailleurs mentionné dans le livre. Désormais, il faudrait même un livre d’histoire qui soit sûr d’englober également l’histoire des pays d’Europe Centrale ayant adhérer à l’UE en 2004. Du côté français, on les regarde encore comme « les pays de l’Est » sans voir les histoires très différentes qui les ont caractérisés.

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  2. Avatar de luocine luocine 10 Mai 2024 / 18:21

    comme toujours avec ce genre de livres, j’en ai envie mais je ne les termine pas souvent .

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    • Avatar de Patrice Patrice 26 Mai 2024 / 17:45

      N’hésite pas avec cette collection ; les ouvrages sont relativement courts et donnent la parole à plusieurs personnes, c’est un éclairage intéressant car multiple.

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  3. Avatar de christw christw 19 Mai 2024 / 13:17

    Un livre qui m’intéresse, j’opine aux idées qu’il développe.

    Je regrette que le poids politique européen semble de moins en moins solide, alors que, si on la considère « unie », l’Europe reste après tout la troisième puissance économique mondiale (derrière USA et Chine).

    Regrettons aussi la hausse la récession que vivent ses pays membres et la pauvreté qui en découle.

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  4. Avatar de Patrice Patrice 26 Mai 2024 / 17:47

    Merci pour ton commentaire. Il faut en effet être conscient de notre poids. D’ailleurs, le fait que la Russie n’ait de cesse de saper l’unité européenne montre que cette dernière est importante.

    J’ai vu récemment un sondage qui montre que les français sont désormais eurosceptiques, quelle évolution pour un des pays fondateurs de la Communauté.

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