
Intellectuelle allemande très en vue dans son pays, Carolin Emcke s’attache dans son livre, Contre la haine – sous-titré Plaidoyer pour l’impur, à montrer les mécanismes créant la haine dans nos sociétés – qu’elle soit raciale, religieuse ou sociale. Elle le fait aussi bien en convoquant des philosophes, que des écrivains, et s’appuie sur des événements qui secouent nos démocraties, comme les manifestations contre les réfugiés en Allemagne ou la violence contre les Noirs aux Etats-Unis.
Dans ce tableau, le plus inquiétant n’est pas la montée de partis ou de mouvements populaires agressifs en Allemagne (et en Europe). (…) Ce qui est beaucoup plus dangereux, c’est ce climat de fanatisme qui règne, ici et ailleurs ; c’est cette dynamique d’un rejet toujours plus radical de ceux qui croient autrement ou pas du tout, qui ont une autre apparence ou d’autres amours que celles imposées par la norme, c’est ce mépris grandissant de toute différence qui se répand peu à peu et abîme tout le monde.
On perçoit que l’une des raisons qui ont poussé Carolin Emcke à prendre la plume est la montée en puissance des mouvements d’extrême-droite en Allemagne (AfD ou PEGIDA dans les années 2010) et leur haine revendiquée envers les étrangers. A partir de ces exemples, elle met en évidence les schémas qui conduisent à cela.
La première notion mise en avant est celle d’invisibilisation des individus ; les réfugiés conspués à Clausnitz en Saxe en sont un réel exemple. La foule qui les conspue ne s’intéresse pas aux gens en tant que tels, à ce qu’ils vivent. On les rend invisibles en tant qu’êtres humains.
L’effet pernicieux de ces forums et de ces publications, dans lesquels les réfugiés apparaissent toujours et exclusivement comme groupe et jamais comme individus, dans lesquels les musulmans sont toujours décrits comme des terroristes ou des « barbares » incultes, c’est qu’ils empêchent quasiment de se représenter les migrants et les migrantes sous d’autres aspects. Ils rétrécissent le champ de l’imaginaire et, par là même, l’empathie. Ils réduisent les possibilités infinies d’être musulman ou immigré à une seule forme.
Carolin Emcke met ensuite en évidence la dialectique employée dans les discours d’extrême-droite (et qui est la même dans l’Etat islamique) : la vision et la célébration d’un groupe homogène, par sa culture, sa religion, que l’on peut qualifier de clanesque et d' »organique ». Cette revendication est illusoire puisque l’homogénéité n’existe pas. C’est la même logique de pureté, d’homogénéité qui est à l’oeuvre dans le rejet des personnes LGBT (auxquelles elle consacre une partie importante du livre).
Face à ces fanatiques contemporains, qui façonnent des dogmes et des superstitions attisant la haine et la justifiant, elle nous invite dans la dernière partie à célébrer l‘impureté et la différenciation, à prendre en compte la pluralité des perspectives, mais sans naïveté. En effet, ceci ne doit pas se faire au détriment du « dire vrai » (elle cite Foucault) : les migrants, par exemple, doivent se confronter à la référence historique qu’est la Shoah en Allemagne et reconnaître son caractère essentiel dans l’identité allemande.
Contre la haine est à mon sens un livre qui est par moment très exigeant à lire, mais par son rattachement à des exemples concrets, il donne des clés de compréhension de première importance sur les phénomènes qui agitent aujourd’hui notre monde.
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Contre la Haine – Plaidoyer pour l’impur, de Carolin Emcke. Traduit de l’allemand par Elisabeth Amerein-Fussler. Points Essais, 224 pages, 2019.

Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes.
Effectivement ce climat de haine qui s’étend au monde entier est très inquiétant.
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Oui, je ne peux qu’acquiescer à ce que tu dis. Espérons que l’on reviendra vers un climat moins agressif – au moins, ce qui a fait plaisir en Allemagne, c’est de voir les manifestations contre l’AfD cette année.
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c’est toujours intéressant de réfléchir sur la montée de la haine mais je sais que je ne lirai pas son essai car souvent j’abandonne ce genre de lecture alors que j’avais choisi pour leur sujet
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Ce n’est pas le livre le plus simple à lire par moments, mais je me suis fixé de mon côté de lire au moins 2 ou 3 essais de ce genre par an. Je comprends ton commentaire.
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Je suis souvent paresseuse pour les essais et me limite aux plus accessibles. Mais cette pensée m’intéresse beaucoup. J’essaierai de trouver des podcasts avec Carolin Emcke sur ce bouquin.
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@sacha :cherche sur l’appli RadioFrance : Les chemins de la philosophie
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Trouvé ! Merci beaucoup !
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J’ai écouté le podcast ce matin. Il est passionnant mais date de quelques années. J’aimerais bien savoir ce qu’elle pense des événements récents et de l’extrême droite qui se banalise
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Très belle chose de voir ces échanges et ces recommandations sur Radio France ! J’ai vu au passage que Carolin Emcke, en tant que journaliste, mène aussi des entretiens dans un podcast intitulé “In aller Ruhe” (titre prometteur) ; c’est en allemand 🙂
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Très prometteur en effet !
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C’est intéressant de remonter aux « racines du mal », comprendre d’où viennent la haine et les préjugés. Cela peut apporter des outils pour désamorcer la situation.
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Oui, tu as tout à fait raison. Désamorcer la situation restera néanmoins un sujet qui mériterait plusieurs tomes à lui tout seul.
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un sujet passionnant et combien inquiétant
le populisme s’étend à toute l’Europe et cela rappelle de mauvais souvenirs
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Oui, et c’est la raison pour laquelle je m’étais réjoui de lire ce livre. On vit une époque de profonde transformation, où la peur s’est installée en Europe : menace russe, changements dans l’économie (avec une Europe sous pression), pression migratoire sur certains pays… Le populisme se nourrit des anxiétés générées mais cela interpelle quand on sait ce qu’on a déjà vécu en Europe.
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