Le temps des prédateurs – François Heisbourg

François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, est l’auteur d’un livre paru en 2020, Le retour des prédateurs, récemment ressorti en poche aux Editions Odile Jacob. Bien qu’écrit au tout début de la pandémie de coronavirus et avant que n’éclate la guerre en Ukraine, cet essai reste des plus actuels et constitue une mise en garde de l’Europe contre ces « prédateurs » auxquels elle fait face.

Dans une introduction très réussie, François Heisbourg revient sur l’Histoire de la Chine depuis 1793. Celle-ci, qui comptait près d’un tiers de la population mondiale à l’époque, refuse d’ouvrir son marché à l’Angleterre et ne perçoit pas les changements à l’oeuvre dans le monde, en premier lieu la révolution industrielle. Ce sera pour elle le début d’un long déclin jusqu’en 1973. Si comparaison n’est pas raison, François Heisbourg, dans un ton volontairement provocateur, évoque le risque d’un destin comparable en Europe. Selon lui, nous faisons face à des prédateurs, c’est-à-dire des Etats qui cherchent à nous exploiter, affaiblir, voire détruire. L’Europe, jadis un grand prédateur, est devenue une proie.

Après avoir listé ces nouveaux prédateurs que sont la Chine, la Russie et les Etats-Unis, il évoque les terrains d’opération de ces pays : si certains sont traditionnels (maîtrise des mers, accès aux consommateurs), d’autres comme la maîtrise technologique, le contrôle du cyberespace sont nouveaux. Certains aspects traditionnels se renforcent d’ailleurs comme la course aux ressources minérales et agricoles. Il décortique ensuite les stratégies spécifiques de chaque prédateur :

  • la Chine, que nous avons longtemps sous-estimée, veut profiter du marché de l’UE, l’influence en y investissant, mais cherche à détacher l’Europe des Etats-Unis. Elle utilise également la technologie (en poussant ses pions sur la 5G). Elle est qualifiée de « cyberdictature » avec plus de 2 milliards de caméras à reconnaissance faciale à l’époque
  • les Etats-Unis de Trump (alors sous son premier mandat) et l’approche transactionnaliste qui caractérise ce président. Le délitement des alliances est la conséquence la plus lourde de cette politique, dont on perçoit de plus en plus le danger aujourd’hui en Europe. Alors que la passation de pouvoirs vient d’avoir lieu outre-Atlantique, de nombreuses pages du livre résonnent :

Comme d’autres, j’ai constaté dans mes travaux que Donald Trump avait un caractère voisin de celui de l’empereur Guillaume II d’Allemagne. Bismarck décrivait l’empereur « comme un enfant pour lequel chaque jour doit être son anniversaire. » L’immaturité émotionnelle, l’égocentrisme et le caprice étaient des traits saillants du dernier empereur des Hohenzollern. Qu’aurait dit Bismarck de Trump ? Comme chacun sait, le rôle de Guillaume II dans l’Histoire aura laissé peu de bons souvenirs.

  • … et la Russie bien sûr, avec des « pulsions dangereuses et incompatibles avec l’ordre de sécurité bâti en Europe depuis la fin de la Guerre Froide » et qui, avec des moyens réduits, utilise tous les éléments à sa disposition pour arriver à ses fins (modernisation des armées, recours à des sociétés privées comme Wagner, agilité sur le terrain d’opération et bien sûr la déstabilisation narrative et informationnelle).

La fin du livre est consacrée à l’Europe, ses forces, ses faiblesses et aux pistes qu’elle doit creuser : ne pas passer son temps à rédiger un nouveau traité européen ou à penser l’élargissement au-delà des Balkans, penser stratégiquement en investissant dans la défense et les réseaux 5G par exemple, choisir ses ennemis (en remodelant en priorité ses relations avec les Etats-Unis) !

Le rapport Draghi publié en 2024 sur la compétitivité de l’Europe, la menace russe concrète à nos frontières, le retour de Trump au pouvoir, et une Chine de plus en plus agressive : la réalité quotidienne nous montre à quel point il est temps d’ouvrir les yeux et de réfléchir à notre avenir européen commun. Cela est entre nos mains car, comme le signale François Heisbourg, « L’avenir n’existe pas, il se construit ».

Je vous conseille pleinement la lecture de cet excellent livre, complet, accessible et un brin provocateur !

X Achetez-le chez votre libraire

ou empruntez-le dans votre bibliothèque

lisez autre chose

Le temps des prédateurs. La Chine, les Etats-Unis, la Russie et nous, de François Heisbourg. Odile Jacob poches – Géopolitique. 2024, 240 pages.

19 réflexions sur “Le temps des prédateurs – François Heisbourg

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 19:32

      C’et la réflexion que je me suis faite également !

      J’aime

  1. Avatar de luocine luocine 7 février 2025 / 18:32

    je suis certaine que ce livre est important mais j’ai trop peur pour mon moral ! Voir ce qui se passe en ce moment suffit à me faire peur !

    Aimé par 2 personnes

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 19:34

      Je peux te comprendre et je constate d’ailleurs que tu n’es pas la seule. Je suis assez friand de ce type d’ouvrages qui décryptent le monde (ou de podcasts – comme toi d’ailleurs – fidèle auditrice du Nouvel Esprit Public :-)). Ce livre permet d’ouvrir les yeux et de se rendre compte aussi qu’il est important de réagir comme Européens de façon groupée.

      J’aime

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 20:55

      Oui, je suis nostalgique des années 90, après la Chute du Mur et du communisme ; c’était une époque beaucoup plus calme et porteuse d’espoir.

      J’aime

  2. Avatar de aifelle aifelle 8 février 2025 / 06:33

    J’écoute beaucoup la radio et j’entends ces sujets-là, surtout ces temps-ci. Ils reviennent en boucle. Difficile de s’y retrouver parfois et tout bouge vite en ce moment.

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:01

      Oui, tu raison, et d’ailleurs le terme de « prédateurs » est couramment usité de nos jours pour décrire ces Etats. Ce que je trouve positif, c’est que ce genre de livre / de discours devrait réveiller les Européens

      J’aime

  3. Avatar de Athalie Athalie 8 février 2025 / 10:30

    J’ai moi aussi l’impression de vivre dans un accéléré qui me fait peur … Assez pour que je lise pas cet essai, malgré ses évidentes qualités !

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:02

      Je le conçois, il faut alterner avec des lectures plus légères ou tout simplement de très bons romans ; heureusement que l’offre est vaste 🙂

      J’aime

  4. Avatar de dominiqueivredelivres dominiqueivredelivres 8 février 2025 / 11:08

    un livre parfaitement d’actualité et que je vais noter

    Ce qui se passe en ce moment est plus qu’ inquiétant et un bon essai sur le sujet c’est bon à prendre

    je viens de lire un essai sur l’amérique tout à fait intéressant

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:06

      Tu ne seras pas déçue ; le seul « bémol » est qu’il a été écrit au début de la crise du coronavirus, j’aurais voulu avoir la perspective en tenant compte de ce qui se passe désormais en Ukraine. Mais c’est une très bonne lecture ! Quel essai as-tu lu sur l’Amérique ? Ca m’intéresse.

      J’aime

  5. Avatar de An An 8 février 2025 / 21:20

    J’en prends bien note. Je partage tout à fait le fait que l’Europe doit revoir urgemment ses priorités.

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:09

      On est bien d’accord, mais quand je vois la réunion de ceux qui s’appellent « Les Patriotes » (Orban, Salvini, Le Pen et autres) ce week-end, il y a le risque que la réponse européenne n’aille pas dans la bonne direction. Je leur fais crédit quand même d’une chose : ils ne manquent pas d’humour car oser s’appeler « Les Patriotes » quand on est inféodé comme ils le sont à la Russie de Poutine, c’est quand même fort !

      Aimé par 1 personne

      • Avatar de An An 10 février 2025 / 21:13

        En effet, quelle ironie… c’est vrai qu’avec cette montée des extrêmes, tant au niveau des Etats qu’au niveau européen, on n’est pas sauvé…

        J’aime

  6. Avatar de Tania Tania 9 février 2025 / 16:03

    Un essai utile, certainement, et un auteur qui tape sur le clou, à lire ses titres disponibles à la bibliothèque : « La fin de l’Occident ? » (2005), « La fin du rêve européen » (2014)… Le point d’interrogation a disparu.

    Aimé par 1 personne

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:10

      Merci pour ton commentaire, je n’avais pas lu les titres des autres livres et il est vrai qu’ils sont vraiment explicites. On voit aussi que c’est un auteur qui aime provoquer et susciter des réactions, la fin de « Le temps des prédateurs », au caractère dystopique, en est un exemple vivant.

      J’aime

    • Avatar de Patrice Patrice 10 février 2025 / 21:14

      Oui :-). En fait, ce qui est frappant, c’est la façon dont l’actualité fait écho à ce livre. J’ai trouvé très inquiétant la vision qui est donnée de la Chine de Xi. Sur Trump et l’Amérique, on parlait déjà à l’époque de cette approche de transaction, du Groenland. Je pensais que Trump était un épisode malheureux (de 4 ans) et qu’on en sortirait, de telle sorte que je n’avais pas porté beaucoup d’attention à certains aspects de ses revendications, qui sont aujourd’hui autrement plus assumées que lors du premier mandat.

      Aimé par 1 personne

Répondre à Patrice Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.