Les Voleurs de sureaux – Hubert Klimko

Si la Pologne fut et reste l’un des soutiens importants de l’Ukraine, en accueillant après l’invasion russe environ 3.5 millions de réfugiés et en fournissant une aide militaire conséquente, les relations entre les deux pays sont complexes et parfois très tendues. Le massacre de masse de civils polonais en Volhyine et Galicie orientale durant la Seconde Guerre Mondiale est l’une des raisons de ces tensions ; il constitue dans Les Voleurs de sureaux, le dernier roman de l’auteur polonais Hubert Klimko, l’un des points d’appui du récit.

Nous sommes dans un village non loin de Lvov, en Galicie, durant l’entre-deux-guerres. C’est au gré de la floraison des sureaux, considérés comme les gardiens des maisons, que le temps s’égrène pour la famille Barycki, et notamment pour le narrateur Antek, que l’on suit depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, des années 30 à la chute du communisme en Pologne, dans trois parties distinctes intitulées « Le monde de là-bas », « Le monde d’ici » et « Le monde mauvais ».

Dans la Pologne ayant retrouvé sa souveraineté depuis peu, les Polonais cohabitent avec les Ukrainiens. L’incompréhension marque parfois les relations entre les deux communautés (comme une façon différente de vivre leur foi catholique). La religion, la personnalité du curé, mais aussi celles des parents, de l’oncle, la vie quotidienne, sans oublier le sureau des voisins ukrainiens (le plus grand de la région) dont les frères et soeurs d’Antek veulent absolument voler des boutures… voilà tous les thèmes que le jeune Antek déroule, souvent sous un regard naïf, même pour évoquer les souvenirs douloureux, quand l’occupation russe arrive, suivie par celle allemande :

Une semaine après la remise de la deuxième boumaga, le monde a de nouveau basculé, papa, maman et tous les autres n’avaient pas dû prier comme il fallait, car les communistes étaient bien partis, mais ils avaient été remplacés par les fascistes venus de l’Ouest. Maman disait que, dans la vie, les choses pouvaient toujours s’améliorer et qu’elles pouvaient toujours empirer. Personnellement, je n’avais pas été mal sous les communistes. J’avais connu l’éducation, j’avais vu la beauté incarnés. Maintenant, j’étais privé de la chance de devenir un bon communiste, quant à la chance de devenir un bon fasciste, personne ne me la proposait, car lorsque les Allemands sont arrivés, ils n’ont pas rouvert les écoles.

Cette naïveté laissera la place à des jugements beaucoup plus durs dans la seconde partie, alors que les événements obligent le narrateur à quitter « le monde de là-bas » pour rejoindre « le monde d’ici » plus à l’Ouest, à l’instar de nombreux autres réfugiés. Dans cette vie ballottée par une Histoire du XXème siècle aux nombreux soubresauts, Antek s’adapte, prend le bon côté des choses. Souvent guidé par « son bout de chair » entre les jambes, son amour des chiffres qui le pousse à reprendre des études, il y a pourtant un domaine où ses avis sont tranchés : son hostilité envers les Ukrainiens.

Maintenant, même s’il nous fallait habiter sur une terre qui récemment encore appartenait aux Allemands, qui irradiait encore leur chaleur, j’avais l’espoir qu’elle serait à jamais débarrassée de cette pourriture humaine. Les Allemands avaient causé beaucoup de tort à la Pologne et aux Polonais, c’est pourquoi ils avaient été punis. Je rêvais que sur ces terres naguère polonaises et soviétiques, les Russes allaient leur en faire baver, aux Ukrainiens, qu’ils allaient en prendre plein la gueule comme jamais dans toute leur histoire de merde. Pour moi, pour mon père, pour notre région, pour le monde de là-bas, ce n’étaient pas les Allemands, mais les ordures ukrainiennes qui représentaient le mal incarné.

Comme l’indique la quatrième de couverture, « Les hommes sont les jouets de forces qui les dépassent » ; cela, Antek le comprend bien et épouse l’air du temps qui s’écoule autour de lui. Même si l’Histoire traitée à travers le livre est loin d’être réjouissante, la tonalité de l’écriture, cette fausse naïveté, cet humour, l’ironie qui irriguent le récit ont fait que j’ai été happé par ce roman de la première à la dernière page (avec une mention spéciale pour la première partie). Je vous conseille vivement de découvrir Les Voleurs de sureaux en :

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Les Voleurs de sureaux, de Hubert Klimko, traduit du polonais par Véronique Patte. Les Editions Noir sur Blanc, 2025, 270 pages.

6 réflexions sur “Les Voleurs de sureaux – Hubert Klimko

  1. Avatar de luocine luocine 26 Mai 2025 / 11:45

    c’est fou le poids du passé , en particulier les haines de voisinages datant de la deuxième guerre mondiale .

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    • Avatar de Patrice Patrice 11 juin 2025 / 07:58

      Tu as tout à fait raison, et c’est d’autant plus marqué quand on se rapproche des « Terres de sang », comme les qualifie Timothy Snyder.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 18:25

      Je comprends mais celui-ci mérite d’être retenu 😉

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  2. Avatar de Sacha Sacha 27 Mai 2025 / 12:23

    Connaître et comprendre ces haines ancestrales peut aider à comprendre l’actualité ou à mesurer le chemin parcouru. Je connais mal cette histoire polono-ukrainienne et note donc précieusement ce roman.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 18:24

      Oui, je suis comme toi, je n’avais pas tout ce « passif » en tête et il est essentiel de l’intégrer. Au delà du point historique, c’est un roman qui se lit avec un très grand plaisir

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