Soixante jours. C’est le temps qu’a duré le voyage qui a mené Yoldas de la Turquie à la France. Un voyage clandestin qui devait durer initialement cinq jours selon le passeur et qui se mua en un véritable calvaire pour lui et ses compagnons d’infortune. Né d’une rencontre fortuite entre Yoldas et Sarah Marty, Soixante jours est un livre d’hommage émouvant à ces hommes et femmes qui décidèrent de quitter le Kurdistan turc dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe.
Ils s’appellent Yoldas, Welat, Osman, Beritan, Azra, Fehrat, Cevdet, Mirkan, Yussuf, Citseko ou encore Tekin. Des personnages ayant comme point commun de quitter une vie devenue impossible au Kurdistan pour aller en Europe, à l’image de Yoldas dont le père Abdulcebar, malgré un optimisme à toute épreuve, se voit obligé de passer d’un emploi à l’autre dans un contexte d’insécurité :
La table où ils mangent est une de ces tables (la seule rescapée) du petit restaurant qu’Abdulcebar a dirigé jusqu’à ce qu’il explose en beauté un matin du mois de mai. Les deux ruches rappellent la période où Abdulcebar vendait son miel jusqu’au jour où toutes les abeilles ont été incendiées. Les panières de pain représentent l’époque où Abdulcebar avait décidé d’être boulanger jusqu’à ce que la boulangerie explose, elle aussi, tout comme ses rêves.
La genèse de ce livre est originale. Comme je l’indiquais dans l’introduction, Yoldas, maçon de formation, s’est proposé réparer un mur écroulé à la journaliste, et au fil des discussions, il en est venu à se confier à elle, qui a donc couché sur le papier le périple qui l’a amené en France. Au-delà du voyage éprouvant, qui les a fait traverser des forêts, attendre des passeurs dans le froid pendant plusieurs jours , être transportés dans des conditions très difficiles (comme un citerne à gaz ou un wagon à bestiaux), avant d’être « déversés » près de la côte italienne, Sarah Marty s’immisce dans les pensées et les rêves de chacun avec beaucoup de justesse.
C’est la peur de retourner d’où ils viennent, de voir le ciel se fendre sous les lance-roquettes, d’être persécutés, de subir des fouilles, des interrogatoires, la tristesse infinie de leur misère pour tout avenir qui ne cesse de s’agiter comme un spectre à fuir. Les heures sont longues, angoissantes, glaciales, elles puent la mort qui plane sur eux comme un charognard. Ils doivent trouver en eux la force nécessaire de ne pas renoncer, de ne pas abdiquer. Jamais. C’est le désir bouillonnant d’une vie digne qui les fait tenir debout, la chance de rester vivants.
C’est aussi la condamnation de ces passeurs qui utilisent la détresse de ceux qui veulent fuir. 3500€ sont demandés à chacun pour faire le voyage depuis Istanbul, mais à plusieurs reprises, on exige de l’argent supplémentaire sous la menace de les laisser tomber. Yoldas sera battu par un des gardiens, dans un des camps où ils seront parqués dans l’attente du voyage en bateau pour l’Italie.
Quand ils n’auront plus d’argent pour se nourrir, les gardiens commenceront les fouilles dans la chambre pour voir s’ils n’ont rien de valeur puis les fouilles au corps pour être certains qu’ils ne cachent rien – et, s’il ne veulent pas crever de faim, les gardiens n’hésiteront pas à racketter jusqu’à leur familles au Kurdistan. Ils travaillent avec les passeurs qui savent d’où ils viennent, qui savent très bien qui ils sont. C’est un réseau de mafieux.
J’ai trouvé ce livre émouvant, et juste. Il a le mérite de mettre des noms, mais aussi des souffrances et des rêves, derrière ces migrants qui échouent sur les plages du Sud de l’Europe. En un mot, il humanise cette crise migratoire. De plus, il met en avant la situation des Kurdes en Turquie, leur histoire et la lutte armée menée par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) ; l’auteure leur consacre d’ailleurs une note additionnelle en fin d’ouvrage.
En conclusion une lecture poignante et par conséquent un livre que je vous conseille :
X d’acheter chez votre libraire ou bouquiniste
X d’emprunter dans votre bibliothèque
lire autre chose
Soixante jours, de Sarah Marty. Denoël, 2018, 288 pages.
ça m’intéresse ! Je m’occupe de migrants venus tout à fait légalement en France et c’est déjà très très compliqué, alors les clandestins…
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Donner un nom, une voix à ces personnes obligées de fuir un pays qui ne les laisse pas vivre en paix, c’est un très bon sujet. Je note ce titre aussi parce que la situation politique en Turquie est fort préoccupante.
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Merci pour ce commentaire, je m’empresse d’aller visiter ton blog 🙂
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Je viens de le lire récemment mais j’ai achoppé sur l’écriture qui m’a empêchée d’apprécier cet ouvrage. Bien dommage vu le sujet…
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Oui, je viens de lire ton billet – je comprends ce que tu veux dire. Cela n’a pas été le cas pour moi et comme tu le signales, c’est un sujet qui mérite d’être traité
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