Ricarda Huch – Le dernier été

Après la découverte de l’écrivaine Irmgard Keun dans un précédent billet, je voudrais mettre à l’honneur une auteure allemande majeure : Ricarda Huch. Poétesse, historienne, Ricarda Huch (1864 – 1937) fut considérée par Thomas Mann comme la « première femme d’Allemagne ». A côté d’ouvrages historiques consacrés essentiellement à l’Allemagne, à l’Italie et à des révolutionnaires comme Bakounine, elle fut également l’auteure de romans comme Le dernier été. C’est précisément ce titre que je vous présente aujourd’hui.

Nous sommes en Russie, en 1906. Une révolte a éclaté parmi les étudiants de St Pétersbourg qui a conduit à la fermeture de l’Université et à la condamnation de certains protagonistes à la peine capitale. C’est le gouverneur de St Pétersbourg, Jegor von Rasimkara, qui en a décidé ainsi. Il s’est depuis retiré pour des vacances d’été en compagnie de son épouse Lusinja, et de ses trois enfants : Welja, le fils aîné, Katja et Jessika. Or, il reçoit une lettre de menace de mort ; son épouse cherche alors à embaucher un secrétaire pour protéger la vie de son mari et c’est le jeune Lju, 28 ans, qui est recruté pour cette tâche.

Le dernier été est un roman épistolaire. Si les femmes du foyer écrivent principalement à la sœur du gouverneur, Tatjana, ou encore à son fils Peter, le gouverneur est peu prolixe : dans sa seule lettre destinée à la mère d’un des condamnés à mort, il refuse sa grâce pour des raisons d’Etat. Cette intransigeance est également celle de Lju : en effet, on se rend compte, dès sa première lettre écrite à son ami Konstantin, qu’il est le réel auteur de la lettre de menace et qu’il suit un plan bien précis : tuer le gouverneur.

Mon séjour ici est d’un grand intérêt psychologique. Cette famille a toutes les qualités et tous les défauts de sa condition. Peut-être même ne faut-il pas parler de défauts ; ils appartiennent à une époque qui doit disparaître, et ils barrent le chemin à une autre qui est en devenir.

Même si le fils du gouverneur, Welja, a tôt fait de percevoir les tendances révolutionnaires du secrétaire, il tombe rapidement sous le charme du jeune homme ; il en est de même pour sa mère et ses sœurs. Seul le gouverneur semble résister à Lju, qui n’est d’ailleurs pas insensible à la personnalité du chef de famille. Une certaine ambiguïté naît et le lecteur s’interroge si le jeune révolutionnaire finira par renoncer à ses plans ou non…

Cette homme exerce un charme auquel je ne suis pas insensible, quoiqu’il procède de forces que je ne tiens pas pour les plus élevées. On remarque en lui les traits caractéristiques d’une race dans laquelle le feu vital brûle plus fort et de plus belle manière que chez les hommes ordinaires. En soi il est accompli, quand bien même il n’est absolument pas complet. Son irréductibilité précisément me plaît ; il a grandi dans le combat de la vie, il s’est affermi, durci, mais il ne s’est pas développé, il ne s’est pas nourri de quoi que ce soit de nouveau. C’est limité, toutefois cela lui prête une certaine intensité. Par ailleurs il n’a rien perdu ; il a gardé beaucoup de la folie, de l’obstination et de la ferveur de l’enfance, ce que ne conserve pas, en règle générale, qui a assimilé maints éléments extérieurs. Son mari est entier, si vigoureux, concentré et fier qu’on est peiné de devoir y toucher ; et justement parce qu’il en est ainsi, je dois le détruire.

Comme vous pouvez le constater à la lecture de cet extrait, la finesse des descriptions qu’offre ce roman figure parmi ses points forts, auxquels il convient d’ajouter la montée de la tension et l’interrogation sur l’issue du récit qui maintiennent le suspense. Dans une certaine mesure, cela m’a rappelé le livre de Kressmann Taylor, Inconnu à cette adresse, avec néanmoins une intensité bien moindre.

Je vous conseille donc de découvrir ce livre :

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Le dernier été, de Ricarda Huch, traduit de l’allemand par Marie-Aude Delacroix. Présentaion par Michèle Gazier. Editions Viviane Hamy, 2005. 140 pages

Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes, consacrées à la littérature de langue allemande.

15 réflexions sur “Ricarda Huch – Le dernier été

    • Patrice 31 décembre 2020 / 09:21

      Oui, c’est une bonne découverte encore faire durant ce mois des Feuilles allemandes !

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  1. luocine 5 décembre 2020 / 08:19

    Je me demande d’où vous vient ce grand intérêt pour la littérature allemande. J’ai lu avec intérêt ce billet et je trouve les passages bien choisis. Je ne crois pas que cela me conduira à lire ce roman sans que je puisse expliquer pourquoi.

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    • Patrice 31 décembre 2020 / 09:23

      Je trouve qu’elle est extrêmement riche, avec des genres très différents, et elle nous permet également de visiter des espaces géographiques très différents ou encore de revivre des épisodes d’histoire allemande.

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  2. Eve-Yeshé 5 décembre 2020 / 14:01

    je ne connais pas je note pour 2021 car cette année, pas assez de punch et de motivation pour honorer mes challenges 🙂

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    • Patrice 31 décembre 2020 / 09:24

      Ca peut arriver, j’espère que 2021 sera d’une autre cuvée 🙂

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  3. laboucheaoreille 7 décembre 2020 / 18:39

    J’ai l’impression que cette lecture ne vous a pas totalement enthousiasmés… malgré la légère ressemblance avec Kressmann Taylor…

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    • Patrice 13 décembre 2020 / 21:12

      Il m’a manqué un petit quelque chose, c’est vrai. La préface était tellement élogieuse que j’attendais encore plus du livre.

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