
Cette nouvelle étape de notre mois thématique consacré à la littérature de l’Europe Centrale et Orientale nous mène aujourd’hui vers l’Europe balkanique. Le cahier volé à Vinkovci est l’œuvre d’un écrivain serbe contemporain, ancien ambassadeur de son pays, Dragan Velikić, dont les textes ont fait plusieurs fois l’objet de prix majeurs dans son pays. L’action de son roman se passe principalement dans la province croate de l’Istrie où il opère un retour aux sources, sur les traces de son enfance…
Je feuillette à l’aveuglette le gros livre de la mémoire. Il en sortira bien quelque chose.
La famille du narrateur est serbe, elle est venue s’installer en Croatie, à Pula plus exactement, une ville qu’ils ont dû quitter en 1991 pour retourner à Belgrade quand la guerre a éclaté. Quand sa mère décède en 2000 des suites de la maladie d’Alzheimer, le narrateur se trouve en Hongrie à Budapest, mais décide de retourner en Istrie (qui se situe à l’ouest de la Croatie), juste sous la ville de Trieste.
C’est pourquoi il faut reconstituer le passé, pour qu’il vive. Mon père naviguait sur les mers et océans, et ma mère sur sa propre vie.
C’est principalement de cette mère dont il sera le plus question dans cette histoire. L’auteur décortique avec talent toutes les manies de celle qui (était) « prisonnière de l’image d’elle-même qu’elle avait créée auprès de son entourage » :
La trace la dérangeait. Témoignage d’une présence. Il fallait s’éloigner en toute discrétion de l’endroit où l’on avait séjourné. Elle était le nettoyeur de traces. Un guerrier indien qui marche au milieu d’un ruisseau pour effacer sa propre trace. Elle aimait se rendre au cimetière : la vie y est enfin enterrée. Les cimetières suscitaient en elle une joie caché, une conscience du triomphe de l’ordre sur la confusion de la vie. Les actes de naissance et de décès sont les seules attestations fiables. Tout ce qui est au milieu – la période de la vie terrestre- n’est qu’une grande souffrance qu’on arrive à supporter en la remettant toujours à plus tard. Maman vivait une vie différée. C’est pourquoi elle n’a jamais réalisé un grand projet, comme le voyage en Californie pour rendre visite à une amie de jeunesse, ou ranger les photos dans les albums qui étaient depuis des années dans les armoires, toujours sous leur enveloppe de cellophane, à côté de dizaines de cartons remplis de photographies.
On le comprend rapidement : ce voyage qui nous emmène dans des lieux et des périodes différentes est un sorte de thérapie pour se débarrasser de l’héritage maternel qui semble se transmettre dans les gènes :
Je scrute l’obscurité. Passe un convoi de cousins. Je reconnais leurs visages rudes lors des fêtes et des enterrements, dans les albums familiaux, et sur les tombes. C’est dans cette obscurité que ma mère est née. Elle y a passé ses dix premières annéees s’y est chargée de scènes obsessionnelles, d’histoires moralisantes pour chaque situation de la vie, a accepté les valeurs qu’elle ne remettra jamais en question ; c’est là qu’elle a récolté les peurs et les phobies, et ce sourire crispé avec lequel elle essayait de séduire son entourage, de tenir tout sous son contrôle. Elle ne s’est jamais laissé aller, elle se mouvait en faisant grincer les freins tel un train au bord d’un précipice. Cette crispation qui s’est emparée de tout son corps est l’élément le plus impotant de son code génétique ; elle transmettra ce fardeau à ses descendants.
En rédigeant ce billet, je me rends compte que je privilégie les extraits au détriment de l’analyse. Il y a à cela une raison pour moi assez évidente : il est malaisé de résumer ce livre. Témoignage d’une époque, d’une vie de famille, mais aussi de personnages marquants de l’enfance (à l’image de l’horloger de Tito ou encore de Lizeta, originaire de Salonique), avec en toile de fond des morceaux d’histoire du XXème siècle, Le cahier volé à Vinkovci est tout à la fois, et c’est ce qui en fait également l’intérêt. Le titre fait allusion à un cahier appartenant à la mère et qui lui a été volé alors qu’ils déménageaient de Belgrade à Pula : un vol qui a été un drame pour elle, qui aimait se souvenir de tout, et dans lequel elle consignait tous les séjours passés dans des hôtels. Il pose beaucoup de questions sur l’influence de l’enfance, le rôle des parents, sur le déterminisme… mais nous invite également à revisiter une région qui, je l’avoue à mon humble niveau, m’était peu connue ; une région frontalière ayant connu les vicissitudes du siècle.
Disons-le aussi franchement : la lecture n’est pas toujours des plus faciles. On saute d’un lieu à l’autre, on navigue entre les histoires des personnages. Entre la première et la seconde partie, le type de narration change (c’est une narration extérieure qui s’impose alors donnant une autre vue sur l’histoire). C’est un point qui séduira certains lecteurs, mais freinera d’autres.
J’en ressors donc avec un sentiment mitigé, ayant l’impression d’être passé à côté de cette lecture. Il m’en reste néanmoins quelques extraits qui attestent de la qualité d’écriture de Dragan Velikić et je ne regrette pas de l’avoir lu. J’ai souvent vu des commentaires positifs sur ce livre, à l’instar de celui de Miriam qui a également chroniqué ce titre pour notre mois thématique.
En conclusion, je vous conseille :
d’acheter ce livre chez votre libraire
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
Le cahier volé à Vinkovci, de Dragan Velikić, traduit du serbe par Maria Bejanovska. Agullo, 2021.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
Tu as réussi me convaincre de ne pas le lire…
J’aimeJ’aime
oh! je n’ai pas réussi à te convaincre de mon côté! moi j’ai aimé
J’aimeAimé par 1 personne
Si, mais j’ai changé d’avis 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Dans ce cas, c’est que j’ai été un peu trop dur. Il faudrait que tu te fasses ton propre avis !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est vrai que cette lecture est déroutante mais je commence à me familiariser avec cette « écriture circulaire » après, la lecture des Emigrants de Sebald et les 3 anneaux de Mendelsohn.
J’aimeAimé par 1 personne
Il me manque alors un peu d’entraînement !
J’aimeJ’aime
je ne note pour 2022 je n’ai lu aucun auteur serbe alors…
J’aimeAimé par 1 personne
Très bien ! J’avais refroidi Goran dans son envie de lire ce livre, heureux de voir que ce n’est pas le cas pour tout le monde !
J’aimeAimé par 1 personne
Faux poivre nouveau billet du mois de l Europe de l’est sur mon blog
J’aimeAimé par 1 personne
Bien noté, merci !
J’aimeJ’aime
J’avoue être un peu dépassée par tous ces livres que je ne connais! En 2022 je ferai mieux j’espère
J’aimeAimé par 1 personne
Il y en a beaucoup, en effet. Et tu as déjà beaucoup participé 🙂
J’aimeJ’aime
C’est très agréable de découvrir un nouvel univers. Je vais me contenter de ce billet qui me semble tres complet. J aime l’extrait que tu as cité.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci ! C’est vrai que j’ai beaucoup aimé certains passages et c’est pourquoi je les ai cités dans ce billet.
J’aimeJ’aime
J’ai hésité pour celui-ci, disons que le sujet me motivait moins. Je crois que je ne vais pas noter même si j’ai lu ton billet avec intérêt.
J’aimeAimé par 1 personne
En effet, il faut bien faire un choix !
J’aimeJ’aime
Pourquoi pas s’il est à la bibliothèque 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Décidément, tu as du mal avec les écrivains diplomates-politiciens (je pense à Varujan Vosganian)!
J’aimeAimé par 1 personne
Tu crois ? :-). J’ai toujours Vosganian dans mes étagères, je suis toujours tenté de m’y remettre une seconde fois !
J’aimeJ’aime
Chiche!
J’aimeJ’aime
Ce livre paraît un peu fouillis et compliqué d’après ce que je comprends de ce billet. Merci en tout cas de cette présentation qui donne une bonne idée de ce livre !
J’aimeJ’aime