Théodora Dimova – Les Dévastés

Lors d’une précédente édition de notre Mois de l’Europe de l’Est, Eva avait chroniqué et beaucoup apprécié Mères de Théodora Dimova. Aussi me tardait-il de découvrir le nouveau livre de cette écrivaine bulgare contemporaine, Les Dévastés, qui nous plonge dans les purges de la Bulgarie communiste.

Je voudrais débuter cette chronique en citant la postface écrite par l’auteure. Frappée par l’absence de représentation des pouvoirs publics lors de l’inauguration en Bulgarie d’un monument en hommage aux victimes du communisme en février 2016, Théodora Dimova a senti le besoin de témoigner de ce qui s’est passé dans son pays sous le régime communiste, ce qui déboucha sur l’écriture de ce livre :

Notre génération se trouve à la frontière sur laquelle nous pouvons transmettre la mémoire de la vérité à ceux qui vivront après nous. Pour qu’ils ne vivent pas dans le monde humiliant du mensonge.

Les Dévastés est ainsi découpé en 4 chapitres qui nous éclairent sur quatre histoires différentes. Qu’elles s’appellent Raïna, Ekaterina, Viktoria, ces femmes ont toutes un point commun : avoir perdu leur époux dans la traque menée par le nouveau pouvoir communiste après 1944. Chaque histoire pourrait se lire indépendamment, mais elle se recoupent entre elles. On retrouve ces trois femmes en 1945 au bord d’une fosse commune où ont été jetés les corps de leurs maris (un écrivain, un pope et un entrepreneur), qui partageaient un dénominateur commun : faire partie d’une élite devenue indésirable.

Chaque récit se complète et contribue à donner un arrière-plan à cette époque particulièrement sombre. Les images défilent sous nos yeux : les tribunaux de la Milice populaire, les domiciles réquisitionnés, la déportation, les arrestations, les mauvais traitements, le jugement. Cette diatribe contre le communisme ne s’arrête pas à ces seuls événements de 1944 / 1945. Car les vies de ces familles furent littéralement brisées, « dévastées » pour reprendre le titre du livre. Magdaléna, la fille de Viktoria, est le témoin de la chute de sa mère qui se réfuge dans l’alcoolisme, et doit rester dans son lieu de déportation jusqu’en 1990 :

Qu’un demi-siècle ne t’appartienne pas, voilà ce qui est difficile à expliquer. Or c’est justement ce qui a été grignoté, ce qui est vide, qui m’appartient, parce que je n’ai rien d’autre, je ne sais si vous me comprenez, si cela ne paraît pas, comment dire, un peu fou.

C’est également ce que montre le dernier chapitre, où l’on découvre l’histoire d’une jeune fille Alexandra, qui n’est autre que la petite fille de Raïna, décrite dans le premier chapitre :

Alexandra le savait : elle existe de cette manière parce que son père est mort, parce que sa mère est en deuil et ne vit pas avec elles, parce que sa grand-mère a vécu, jadis, une grande tragédie qui se répétait à présent avec sa fille et s’abattrait certainement plus tard sur sa petite-fille aussi.

Les Dévastés est un livre fort, un témoignage puissant qui pénètre profondément dans la pensée des personnages ; c’est ma première lecture de Théodora Dimova et ce ne sera pas la dernière.

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Lisez autre chose

Les Dévastés, de Théodora Dimova, traduit du bulgare par Marie Vrinat. Editions des Syrtes, 2022, 227 pages.

N’hésitez pas à aller lire les chroniques de Passage à l’Est!, Ally lit, Temps de lecture, Chez Mark et Marcel.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.

24 réflexions sur “Théodora Dimova – Les Dévastés

  1. Ingannmic 11 mars 2022 / 10:43

    J’étais facile à convaincre, ayant beaucoup apprécié l’écriture de l’auteure dans « Mères »… ceci dit, ton avis aurait même sans cela été très tentant !

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:11

      Merci, je ne connaissais pas « Mères », mais pour moi, cette découverte de Dimova a été concluante aussi !

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  2. nathalie 11 mars 2022 / 14:31

    Et moi il faut que je lise Mères ! C’est un grand livre. Ta citation sur ce demi-siècle comme un vide, un grand trou, est essentielle. C’est un livre qui met des mots sur les disparitions et le silence qui les a entourées.

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:12

      Oui, cette citation est assez terrible… Tout à fait d’accord avec ce que tu dis sur le livre.

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:13

      N’oublie pas que nous organisons un tirage au sort parmi les participants à notre mois thématique, et que l’un des deux titres est à remporter 🙂

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      • Eve-Yeshé 14 mars 2022 / 14:34

        j’avais oublié! je vais croisé les doigts :-)b

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:13

      J’ai vu ça, et cette escale a l’air très riche, d’après ce que j’ai vu sur le portable !

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:14

      Oui, il faut se laisser tenter !

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  3. Delphine-Olympe 13 mars 2022 / 10:41

    Je crois que je n’ai jamais lu d’auteur bulgare. Voilà qui serait une excellente occasion de découvrir ce champ littéraire !

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:19

      Exactement, et je suis d’ailleurs heureux de voir cette année plusieurs contribution venant de Bulgarie pour notre mois thématique

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  4. Passage à l'Est! 13 mars 2022 / 18:22

    Le contexte (cette période de transition et d’imposition d’un nouveau pouvoir après la guerre) m’avait vraiment intéressée. Mais j’avais moins aimé le style – un peu trop volubile à mon goût – que dans Mères, et j’avais trouvé dommage l’absence de questionnement sur les mauvais côtés du pouvoir précédent. Bref, ma préférence va encore à Mères, dont j’avais beaucoup apprécié l’accent contemporain et social. En tout cas, merci pour le lien!

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    • Patrice 13 mars 2022 / 21:22

      Bonne remarque sur le pouvoir précédent, c’est vrai que l’on rentre dans cette période « hors contexte », mais je dois dire que pour ma part, j’ai trouvé ce roman très fort. Il y a certains passages, notamment sur les arrestations ou à la fin sur la difficulté de se reconstruire, qui m’ont beaucoup frappé.

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  5. allylit 14 mars 2022 / 19:00

    Je suis ravie de lire que tu as aimé ce roman ! Je ne peux que te conseiller « Mères » que j’ai trouvé également excellent.

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