
Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne, ancien ambassadeur de France en Syrie et en Suisse, nous livre dans La France dans le bouleversement du monde un livre de réflexion sous la forme d’un bilan de la politique étrangère du président sortant (et entre-temps nouvellement réélu), Emmanuel Macron. Un livre tout en nuance et passionnant à lire, même pour les non-spécialistes de politique étrangère.
Le livre est structuré en 3 parties : la première revient sur la politique étrangère française de ces dernières décennies, la seconde se focalise sur Emmanuel Macron (ses desseins et réalisations), avant que la troisième n’aborde les enjeux actuels et esquisse des recommendations au moment où les Français devaient faire le choix d’un nouveau président. Le propos est non seulement basé sur l’expertise de Michel Duclos, mais il est enrichi de références extérieures, ainsi que de nombreux entretiens conduits par l’auteur.
Michel Duclos parle d’abord du déréglement de la « boussole stratégique française » suite à l’effondrement de l’URSS et la réunification allemande. La politique européenne a certes donné un cadre nouveau à l’action de la France, mais de nombreuses déceptions se sont accumulées.
C’est dans ce cadre qu’intervient l’élection d’Emmanuel Macron. Je ne résiste tout d’abord pas à l’envie de mentionner cette description que fait Antoine Garapon, essayiste et magistrat français, qui en dit long sur les risques de tension qui peuvent survenir entre ce président et le peuple français :
Macron est un homme jeune, d’une sensibilité de type protestant, d’esprit fondamentalement libéral, à condition de ne pas limiter ce terme à l’économie ; il croit à l’individu, à la responsabilité, au bonheur personnel, dans un pays vieillissant, de culture catholique, où le libéralisme est toujours resté une langue étrangère
Michel Duclos passe en revue les grands desseins du Président élu en 2017, notamment le Discours de la Sorbonne en 2017 où 6 thèmes sont particulièrement développés : 1- la sécurité, 2- la maîtrise des frontières, 3- le partenariat avec l’Afrique, 4- la transition écologique, 5- la transformation numérique, 6- la politique économique, industrielle et monétaire. Il est complété par un autre discours prononcé à l’école de guerre où pointe déjà un des thèmes forts de la présidence macronienne, la souveraineté européenne :
« Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe ». Dans un autre passage du discours, Emmanuel Macron expose que nos intérêts vitaux désormais se définissent en termes de souveraineté sur les « infrastructures 5G, le cloud, décisif pour le stockage des données, les systèmes d’exploitation, les réseaux de câbles sous-marins, systèmes névralgiques de notre économie mondialisée. »
J’ai beaucoup aimé ces passages car ils permettent de résumer de façon brève le corpus intellectuel du président Macron. Michel Duclos prend acte de ces hautes ambitions en politique étrangère, mais malgré de réels succès, de nombreuses déceptions sont à déplorer de telle sorte qu’une conclusion s’impose à l’issue de ce quinquennat :
Pour nous, s’il ne fallait retenir qu’une seule leçon des années Macron, ce serait la suivante : dans le monde d’aujourd’hui, la France n’a plus qu’exceptionnellement les moyens d’agir seule. A des titres divers, la Libye, le dialogue avec la Russie, le Liban, l’Otan, à certains égards le Mali en ont apporté ces dernières années la confirmation. Lorsque la France réussit, c’est avec d’autres : plan de relance européen, certains dossiers multilatéraux. Ce qui nuit le plus à l’efficacité de son action extérieure, c’est sa capacité à se couper de ses partenaires naturels par des comportements de cavalier seul.
Dans la dernière partie, Michel Duclos nous dépeint la réalité du monde qui est le nôtre aujourd’hui. Il est peu de dire que certains passages prennent d’autant plus de signification après l’invasion russe en Ukraine. « On aurait tort d’envisager la nouvelle compétition Est-Ouest plus douce que la première », dit-il, en pointant notamment les dangers d’une Chine puissante alliée à une Russie belliqueuse. La France, dans ce contexte, se doit de remettre de l’ordre dans ses finances, de se recentrer sur l’Europe et d’intégrer nos partenaires avant de lancer des opérations :
Telle qu’elle est vue par nos partenaires, la politique française consiste souvent à prendre des initiatives unilatérales, à les placer devant un fait accompli, puis à leur demander ensuite de nous rejoindre comme s’il allait de soi que nous sommes une sorte d’avant-garde ouvrant la voie au nom d’une mission historique auto-proclamée.
L’Europe doit ensuite partager ses responsabilités, notamment financières, avec les USA dans l’OTAN (on s’y dirige en ce moment), et ce, afin de ne pas devenir un simple supplétif des Etats-Unis dans sa confrontation avec la Chine et de garder la protection de l’allié américain face à la Russie. Des préconisations plus que jamais d’actualité.
Avant de finir ce billet, que j’écris alors que les combats font rage en Ukraine, je voudrais encore partager un extrait très intéressant du livre :
Au total, c’est l’administration Obama qui offrit à la Russie les conditions de son grand retour au Proche-Orient, par le biais de son intervention militaire en Syrie, en septembre 2015. Il est raisonnable de penser que M. Poutine ne se serait lancé ni en Ukraine, ni en Syrie, si M. Obama avait fait preuve de plus de détermination face aux attaques chimiques de Bashar-al-Assad en août 2013. Désormais, sur les théâtres extérieurs, les interventions néo-autoritaires ont succédé aux interventions des néoconservateurs.
Oui, il faut lire ce livre même si l’élection présidentielle est désormais passée. J’entends certains électeurs dire que la campagne présidentielle n’eut pas lieu en raison de la guerre en Ukraine. Je pense de mon côté que ce fut l’inverse : le vrai débat est celui de la place que nous voulons donner à notre pays dans ce monde incertain, face à des voisins belliqueux. Je suis heureux de voir que les thèmes évoqués dans ce livre furent pour partie repris durant cette campagne.
Je vous conseille donc :
X d’acheter ce livre chez votre libraire
de l’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
La France dans le bouleversement du monde, de Michel Duclos. Editions de l’Observatoire, 2021, 315 pages.