Birgit Vanderbeke – Le dîner de moules

Mettez-vous à table, nous allons servir des moules-frites ! C’est Birgit Vanderbeke qui est responsable du menu d’aujourd’hui. Cette écrivaine allemande a passé la première moitié de sa vie en Allemagne pour ensuite s’installer avec sa famille en France où elle est décédée l’année dernière. Elle a écrit de nombreux livres mais seulement quelques-uns ont été traduits en français dont son premier roman, Le dîner de moules. Le lecteur y est invité dans une famille écrasée par un père despotique.

La mère et ses deux enfants sont à la maison dans l’attente du père qui doit revenir de voyage d’affaires. La soirée s’annonce spéciale car le père devrait être promu et pour cette occasion, la mère a préparé des moules même si elle ne les aime pas du tout.

C’est d’ailleurs un trait typique de cette famille de quatre : (devoir) s’adapter complétement au père. Ce biologiste a en effet des idées très arrêtées sur ce à quoi devrait ressembler une vraie famille, un vrai métier, de vraies activités… A son grand désarroi, rien ni personne n’est comme il faut. Le fils est trop mou, la fille est trop entêtée, l’épouse a un métier inutile (c’est à dire pas en lien avec des sciences exactes)…

Mon père disait, ton dix-huit, autrefois aurait été un huit, et encore, peut-être même moins, au fond mon père pensait que mon dix-huit aurait même été un zéro. Ce que nous devions faire pour décrocher un dix, disait-il, échappe à tout système d’évaluation ; mon père avait été un élève exceptionnel, et quand les bulletins arrivaient, mon frère n’osait même plus mettre le nez à la maison, et mon père me disait à moi, en apparence ça a l’air tout à fait correct, sauf que les notes, aujourd’hui, n’ont plus aucune valeur ; ensuite, il sortait ses propres bulletins de son bureau et les comparait, et quand le mien était meilleur que le sien, il ne manquait jamais de remarquer la baisse du niveau, et il se rendait compte de toutes les connaissances qu’il avait à mon âge, alors que moi, au même âge, je ne savais presque rien, ou très peu de chose, parce que je jouais du piano et que je lisais, ce qui ne faisait pas vraiment le poids à côté des logarithmes, au contraire, et mon père répondait tout de suite, ce n’est pas ça qui fait marcher un moteur, (…)

La vie de cette famille nous est racontée du point de vue de la fille. Le style de la narration est particulier, il m’a donc fallu quelques pages pour m’y habituer. C’est comme si l’auteure avait couché sur le papier la déposition (très franche) d’une teenager telle qu’elle lui passe par la tête (elle se répète, revient en arrière, passe à un autre sujet) sans y intervenir. J’ai trouvé que ce procédé a donné au récit un côté très naturel qui permet de s’approcher de cette famille.

(…) mes parents sortaient rarement à cause des magasins de fins de série où ma mère traînait toujours pour trouver des rabais, alors que mon père, qui était un peu plus jeune que ma mère, portait des costumes sur mesure depuis le début, dès que mon père a eu son poste dans son entreprise, la meilleure qualité était tout juste assez bonne pour lui, la confection, ça se repère tout de suite, disait mon père (…)

Même si le sujet est grave, et si certains passages choquants frappent le lecteur sans préavis, grâce à quelques touches de l’humour, l’auteure a réussi à ridiculiser complétement ce père tyrannique en faisant de lui un homme stupide sans confiance en lui, obsédé par les apparences et hanté par ses origines modestes. Aussi, l’histoire ne se limite pas au microcosme de la famille, mais apporte une image intéressante sur la vie en Allemagne.

Au fil du récit, l’histoire est également marquée par un léger suspense – le temps passe, mais le père ne rentre pas, les moules refroidissent sur la table, la mère et ses enfants s’ouvrent une bouteille d’un vin doux et les langues se délient…

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Le dîner de moules, de Birgit Vanderbeke. Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira. Stock, 1995, 139 pages.

5 réflexions sur “Birgit Vanderbeke – Le dîner de moules

  1. keisha41 30 juin 2022 / 07:34

    Ah comme je lis pu d’auteurs allemands (même si je pense plutôt à la Belgique, là) , je suis tentée. A la bibli, mais dans la réserve..;

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    • Eva 30 juin 2022 / 12:58

      Ça va lui faire du bien de sortir de la réserve 🙂

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  2. Madame lit 30 juin 2022 / 23:03

    Je pensais aussi que ce livre serait belge! Mon conjoint est belge et il adore les moules! Merci pour cette découverte Eva. Le vin sert souvent à délier les langues. J’espère que cette histoire se termine tout de même bien…

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  3. Ingannmic 2 juillet 2022 / 10:54

    Il est dans le TOP 100 d’Athalie… et figure donc sur la liste que je garde dans mon sac en prévision de mes escapades inopinées en librairie 🙂 !

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  4. Athalie 3 juillet 2022 / 12:59

    Effectivement, ce livre m’avait beaucoup marqué ! La lecture en est si lointaine que je ne me souviens plus trop pourquoi … Mais je me souviens d’avoir été prise au dépourvu par la montée de la violence que tu évoques !

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