
Connaissez-vous la région autrichienne du Vorarlberg ? Située à l’ouest de l’Autriche, limitrophe de la Suisse et de l’Allemagne, cette magnifique région, économiquement dynamique et attractive d’un point de vue touristique, fut autrefois essentiellement marquée par des conditions de vie difficiles. Le Vorarlberg du XIXème sert ainsi de cadre à Scènes de ma vie, un roman étonnant écrit par un écrivain autrichien peu connu, Franz Michael Felder.
C’est en flânant dans les rues de Colmar que j’ai découvert la magnifique librairie Feuilles d’Encre, qui est une mine d’inspiration pour tout lecteur tant par la qualité du fond que par les conseils des libraires, parmi lesquels figurait Scènes de ma vie. Ainsi, au moment où les marchés de Noël alsaciens vont ouvrir, certain(e)s d’entre vous ont peut-être prévu une excursion vers Colmar. Si tel est le cas, vous savez désormais où rechercher de futures inspirations de lecture !
Qui est Franck Michael Felder ? Né en 1839, il est le fils de paysans du Vorarlberg et devint lui-même paysan par fidélité à sa famille même si sa vraie passion fut la littérature. En plus de son travail, il commença à écrire et ses premiers écrits lui assurèrent une réelle renommée. Frappé par le destin, il rédige après le décès prématuré de son épouse (et mère de ses cinq enfants) Scènes de ma vie, qui est son livre le plus connu, retraçant sa vie depuis son enfance jusqu’à son mariage. Malheureusement, il mourut peu après, à l’âge de 29 ans, d’épuisement. En lisant le livre, qui décrit sa vie dans les montagnes autrichiennes, mais également la postface qui en dit plus sur les activités de l’auteur, le lecteur en vient à ne pas s’étonner.
Le livre s’articule autour de chapitres dans lesquels Franz Michael Felder nous parle d’épisodes de sa vie, tout d’abord de sa jeunesse comme la perte d’un oeil, les escapades avec les camarades, la visite chez un vieillard qui lui racontait des histoires… C’est un témoignage de premier plan sur la vie dans cette région où le poids de l’Eglise était immense, où les paysans étaient à la merci des événements naturels ou d’épidémies pour leur bétail, où les distractions n’étaient pas légion : le chapitre consacré à l’arrivée de l’almanach le 1er janvier est un réel événement qui marqua le jeune homme.
Néanmoins, ce livre est bien plus qu’une chronique : Felder présente un sens de l’observation des plus acérés et ses descriptions et commentaires sont très fins. En grandissant, il s’interroge sur le mode de vie de ses contemporains et rend compte des dysfonctionnements de cette société, comme le rôle attribué à l’école. Il se pose de nombreuses questions, hésitant entre suivre la tradition et trouver sa propre place, lui qui considère avoir un caractère « original » :
Tous battaient en retrait plutôt que d’affronter les artifices et l’hypocrisie régnants ; on se tordait, s’étirait, se contorsionnait jusqu’à se fondre enfin dans le moule que quelques notables, à la tête de leur troupeau, avaient créé pour eux-mêmes il y a peut-être cinq cents ans de cela. Ma fierté s’animait. Qu’étais-je, mois, avec mes belles pensées ? Rien qu’un lâche, ou qu’un fieffé nigaud qui s’imaginait que nul ici n’était plus raffiné que lui. Comment les choses pourraient-elles s’améliorer, si chacun courbait l’échine devant la tradition ? Et le silence ne valait-il pas assentiment ?
La soif de découverte sera l’une des raisons de vivre pour le jeune homme qui se passionne pour la littérature. Il travaille et économise de l’argent, d’abord pour recevoir son premier journal (« un jour inoubliable »), puis des livres. Là encore, il y consacre de très belles pages :
Le premier mai 1857 fut un grand jour : je passai commande auprès du commis de la librairie Matthias Rieger, à Lindau, des cahiers de la collection « Classiques » parus cette année. A la Pentecôte, je reçus le premier envoi, et je le ramenai chez moi comme si j’avais conduit sous mon toit des hôtes de premier choix. Ces murs renfermaient et recelaient désormais de précieux trésors ; non, mieux encore : de chers, de grands, de merveilleux esprits qui consacraient ma demeure. On publiait justement à cette époque-là les travaux de jeunesse -fort pieux- de Wieland. Ils ne tardèrent pas à me réconcilier avec cet auteur que le docteur m’avait présenté sous un tout autre jour. J’étais maintenant l’homme le plus heureux de la terre.
Chronique d’une vie (trop brève), de la vie difficile dans une région avant que la révolution industrielle n’intervienne, roman d’apprentissage, ôde à la littérature, mais également très bel hommage à une épouse rendue extrêmement vivante dans ces pages. Scènes de ma vie est tout à la fois, mais c’est finalement un livre magnifique porté par une très belle écriture.
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Scènes de ma vie, de Franz Michael Felder, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay. Préface de Peter Handke et postface de Jean-Yves Masson. Verdier, collection « Der Doppelgänger », 320 pages, 2014.

Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes.
mort d’épuisement à 29 ans ! ah le charme de la vie à la campagne autrefois!!!
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Et oui, cela permet de voir à quel point l’espérance de vie a grimpé le siècle dernier. Néanmoins, ce qui frappe dans cette courte vie, c’est cette intensité. Une vie courte, mais dense.
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Merci pour cette belle découverte. Je retiens le nom de l’auteur.
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Merci pour ton commentaire, c’est un plaisir de faire découvrir de tels auteurs/livres.
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Bonjour, je pense que c’est tout à fait le genre de livre que j’aime. Merci beaucoup. Claude
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Je suis d’accord avec toi et j’espère que tu le découvriras bientôt.
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https://netsdevoyages.car.blog/2022/11/19/la-maison-allemande-annette-hess-actes-sud-2019/ ma première participation, je vous envoie le lien parce que je ne sais pas où le coller
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Merci beaucoup! N’hésite pas à coller les liens sous https://etsionbouquinait.com/2022/10/09/les-feuilles-allemandes-2022/. En tout cas, la participation est bien notée !
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Une région et des traditions vraiment très lointaines pour moi ! Je ne sais pas si c’est un frein à l’envie de lire ce titre ou, au contraire une incitation …
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Il faut le prendre pour une incitation :-). En tout cas, si tu ne connais pas la région, elle vaut le détour. Quant au livre, c’est encore plus facile d’y accéder et je te promets une très belle lecture !
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c’est un livre magnifique tout en émotion contenue
je l’ai lu chez des amis mais hélas le livre ne m’appartenait pas et du coup pas de prise de notes pour en faire le CR
il faut que je me l’achète car c’est un vrai beau moment de littérature
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Ton commentaire me fait très plaisir ! Je souscris totalement à ce que tu dis et j’espère que tu vas bientôt le relire.
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Je note, ça a l’air vraiment beau. Je me demande si je n’ai pas lu un article à son sujet. Ce serait bien, ça le ferait connaître.
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Exactement, c’est aussi une des raisons pour lesquelles je voulais le chroniquer pendant « Les feuilles allemandes »
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Encore un lien que je ne sais où coller
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Merci pour ce lien ! Un livre que j’avais en effet beaucoup aimé l’an dernier.
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