
Lors de la dernière édition des Feuilles Allemandes, j’ai eu l’occasion de chroniquer un livre qui fut une très belle expérience de lecture ; il s’agissait de Le turbulent destin de Jacob Obertin, un titre récompensé par le prix suisse du livre en 2012. Il mettait en scène une famille lorraine immigrant en Transylvanie au XVIIIème siècle. Passage à l’Est! me faisait remarquer que le livre de l’écrivain croate Slobodan Šnajder, né à Zagreb en 1948, traitait d’un thème semblable et c’est la raison pour laquelle nous avons mis La réparation du monde, oeuvre majeure et ambitieuse de l’écrivain, au programme des lectures communes de notre Mois de l’Europe de l’Est !
La réparation du monde est scindée en trois parties. La première, relativement courte, débute en 1790 : un dénommé Georg Kempf quitte l’Allemagne, embarquant à Ulm pour rejoindre la Transylvanie, que les Turcs ont quittée. Il s’établit finalement en Slavonie, province de l’actuelle Croatie. On retrouve dans cette première partie des points communs avec le livre de Florescu, sur les conditions difficiles qui prévalaient alors dans le Saint Empire. La seconde partie, de loin la plus volumineuse, s’attarde sur un descendant de Georg Kempf, Georg (dit Djuka), né en 1919, mobilisé comme « volontaire-forcé » pour aller sur le Front Est, en tant qu’ « Allemand ethnique ». Enrolé dans les Waffen SS, on suit ses pérégrinations en Pologne, ainsi que celles d’une communiste croate, Vera, qui se bat contre les Allemands en Yougoslavie. Enfin, la troisième partie se déroule après la Seconde Guerre Mondiale, traite du retour au pays, des difficultés de la reconstruction et se prolonge jusqu’à la mort du personnage principal.
L’auteur arrive à nous faire prendre conscience que chacun pouvait, à l’instar de Djuka Kempf, glisser dans cet engrenage de la guerre, quelles que soient ses idées ; il dépeint une vision très réaliste de la guerre, loin de l’idéalisation des combats.
Ainsi, à cette époque, le destin de Kempf dépendit de la « situation globale » sur les champs de bataille polonais et européens. Tout comme lors de son recrutement dans la Waffen-SS, sa volonté ne prit aucune part.
J’ai trouvé que la situation sur le front polonais, évoquée dans la seconde partie est très forte et très bien rendue : l’allusion aux ghettos liquidés, les exécutions d’otages, un passage sur Treblinka où Kempf, désormais en fuite, rencontre un Juif évadé qui finit par être tué par un groupe de bandits de différentes nationalités. La haine du Juif, « l’antisémitisme ordinaire » sont omniprésents. Cet épisode où des Polonais font sauter à la dynamite des fosses communes pour récupérer les effets personnels des Juifs exécutés est également très marquant, et cela est fait de la part de l’auteur sans exagération. Les luttes internes entre les résistants bolcheviques et ceux dits nationaux en Pologne sont également bien mis en valeur. La seconde partie du livre recèle donc des passages vraiment très forts.
De même, sans trahir le déroulement du livre, le retour miraculeux de Kempf dans son pays illustre les difficultés du retour. Les Allemands qui ne sont pas restés dans le Reich sont déportés, à l’instar de ce qui se passera en Pologne, en Tchécoslovaquie… Autour de Kempf se soulèvent les questions : Pourquoi est-il revenu ? Qu’a-t-il fait là-bas ? Comment a-t-il pu survivre ? Le mélange des nationalités est omniprésent, qu’on soit en Yougoslavie, en Pologne, dans les unités des Waffen-SS, où des Ukrainiens se sont engagés en voulant se venger contre les Bolcheviks coupables de l’Holodomor.
Combien de temps faudrait-il pour que ces colons, maintenant appelés Gastarbeiter, prennent pied dans leur nouveau milieu, qu’ils y plantent des racines, qu’ils se rangent, qu’ils se fassent naturaliser et assimiler ? Combien de temps faudrait-il encor pour qu’ils ne soient plus considérés comme des étrangers ? Il avait fallu à mes Allemands deux cents ans pour y arriver. Ce qui fait dix générations. Après quoi ils étaient redevenus des étrangers.
Je l’ai dit au départ : ce roman est un livre ambitieux et le bandeau l’assumait en titrant « Le grand roman de la Mitteleuropa ». Parfois passionnant, original dans sa construction (des encadrés font parler le descendant de Djuka Kempf avant sa naissance), il est néanmoins parfois difficile à lire. Les états d’âme et réflexions de Kempf sont souvent trop abondants, freinant le rythme de lecture et je dois avouer que j’ai vu venir la fin des 620 pages avec un certain soulagement.
Je vous conseille donc :
d’acheter ce livre chez votre libraire
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
La réparation du monde, de Slobodan Šnajder, traduit du croate par Harita Wybrands. Editions Liana Levi, 2021, 625 pages.

Lecture commune co-organisée avec Passage à l’Est dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
Voilà un avis intermédiaire entre celui, très enthousiaste, de Maryline, et la déception de La bar aux lettres.. du coup, je me tâte !!
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Le point commun, c’est que le livre ne fait pas d’indifférents. De mon côté, malgré une impression globale mitigée, je n’en oublie pas pour autant de réelles qualités et des passages très marquants.
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Je ne regrette pas d’avoir découvert ce livre, ambitieux comme tu le dis bien. Sans out la dernière partie (Tito et tout ça ) m’a moins emballée, mais franchement ça se lit bien. La deuxième partie est souvent… incroyable!
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Oui, cette deuxième partie est vraiment la meilleure, dommage que la dernière est moins réussie. J’ai le même sentiment que toi et je suis heureux d’avoir saisi cette LC pour découvrir ce titre.
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Je crois que nos avis sont assez proches, c’est intéressant, très riche, mais un peu lourd à lire (la glaise nous colle aux chaussures quoi).
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Exactement !
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Grâce aux avis des uns et des autres, je commence à avoir une idée assez claire de ce roman. Le sujet m’intéresse mais je suis moins convaincue pour le style d’écriture.
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Oui, le thème est très profond, mais le style est vraiment… compliqué !
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🙂
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Il y a tellement à lire en terme de littérature de cette région, tu peux peut-être passer ton tour…
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Tous les billets de blog sur le livre vont dans le même sens et j’ai bien l’intention de le lire, c’est un type de sujet que j’apprécie et ton billet très clair m’a rappelé d’autres livres lus sur des sujets proches donc je vais le mettre en haut de ma pile
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Je suis très heureux que cette lecture commune ait été autant suivie ! Bonne lecture par avance !
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Ah je suis bien contente de voir qu’il n’a pas fait tout à fait mouche pour toi non plus !!! Pour moi c’était trop ambitieux…
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Ca n’a pas été un coup de coeur mais je lui reconnais quand même des qualités. Si la dernière partie avait été plus concluante pour moi, j’en aurais gardé un souvenir différent.
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Je ne pouvais pas l’emprunter pour la LC puisqu’il était déjà emprunté mais je l’ai noté pour plus tard, par exemple pour une semaine de vacances 😉
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Oui, il faut prévoir un peu de temps et de concentration pour le lire 🙂
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