
« Les Zurichois vantent leur place économique, les Bâlois aiment rappeler leurs centres culturels et leur équipe de foot, Berne est fier de son dialecte*. » Le dialecte bernois est très vivant sur le plan musical et littéraire, et le dernier roman de Pedro Lenz, Primitivo, est là pour le rappeler. Rédigé dans cette langue et récemment traduit en français, il y raconte l’amitié entre Charly, un jeune homme de 17 ans et un maçon d’origine espagnol, Primitivo.
Primitivo vient de mourir. Cette mort soudaine, inattendue, accidentelle sur un chantier émeut l’ensemble de ses anciens collègues, et en premier lieu Charly, un apprenti maçon de 17 ans qui, dans ce milieu parfois rude, fut pris sous son aile par Primitivo lorsqu’il débuta son apprentissage. Cet homme simple, qui aime le bon vin, la poésie et les échanges, ne se contente pas de transmettre son métier mais aime parler de sa vie à Charly. Tous les samedis, les deux hommes se retrouvent pour discuter.
Originaire des Asturies, Primitivo dut fuir son pays au moment de la guerre civile, passa par la France avant de rejoindre l’Amérique du Sud, et finalement la Suisse. Des considérations sur la vie, des épisodes de son séjour aux Amériques où il croisa même le chemin de Mengele, et l’évocation du pays (la mère de Charly est également d’origine espagnole) alimentent les discussions :
Quand j’avais dit un jour à Primitivo que c’était pas simple pour moi de comprendre ma mère, il m’avait conseillé de ne pas trop me prendre la tête avec ça. Il a dit que ma mère était comme quatre vingts pourcents d’immigrés espagnols en Suisse et peut-être comme quasi tous les immigrés, d’où qu’ils viennent et où qu’ils se soient installés. Ils ont tous en commun, il a dit, d’idéaliser le pays qu’ils ont quitté et ne savent plus ce qui s’y passe. (…) Le pays d’origine devient le pays de la nostalgie, a dit Primitivo. Avec le temps qui a passé depuis qu’on l’a quitté, on sait de moins en moins ce qu’il est devenu et on l’idéalise de plus en plus. Cette image idéalisée du pays natal fait qu’un jour l’immigré commence à associer tout ce qu’il y a de négatif à l’endroit où il vit maintenant et ce qu’il y a de positif à celui où il avait vécu avant. Il ne peut jamais lâcher son ancienne vie et jamais accepter sa nouvelle.
Les 160 pages couvrent la période entre la mort de Primitivo jusqu’à son enterrement. Outre l’évocation du défunt, Charly, qui est aussi le narrateur, nous raconte sa vie, des anecdotes sur les chantiers, ses sorties, ses amours déçus. C’est un style très parlé avec des dialogues alertes. J’ai lu de nombreux commentaires en allemand insistant sur la musicalité du texte en bernois. Comme il est mentionné sur la quatrième de couverture, Pedro Lenz, que nous voyons en haut à gauche sur la photo de ce billet, travaille beaucoup sur « l’oralité de la langue » et fait de nombreuses lectures publiques, à l’image d’Arno Camenisch, dont Eva avait chroniqué le livre Ustrinkata. La traduction atténue probablement ce ressenti, mais il n’en reste pas moins qu’elle est très bonne et qu’on s’attache beaucoup à cette histoire, à ces personnages. Une très jolie découverte.
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Primitivo, de Pedro Lenz, traduit du bernois par Nathalie Kehrli et Daniel Rothenbühler. Editions d’en bas. 2023, 176 pages.
*Le bärndütsch, le charme par le dialecte – article du journal Le Temps (février 2005)
Je te crois, mais ici c’est plus coton à trouver…
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Oui, c’est un peu plus pointu, mais ne sait-on jamais ? En tout cas, la littérature suisse allemande est bien vivante ; je viens de finir un livre de Peter Stamm pour la LC de novembre, et j’ai eu également beaucoup de plaisir à le lire.
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A défaut de le lire en VO….
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Je n’ai pas vu la V.O., mais je crains que le bernois soit bien opaque même pour les personnes qui lisent l’allemand 🙂
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Encore une jolie découverte. J’ai beaucoup lu et toujours avec beaucoup d’intérêt sur l’exil.
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Merci pour le commentaire ! J’ai trouvé les passages sur l’exil très intéressants dans ce livre, qui ne se limite pas à cela. C’est la vie simple des gens qui défile devant nos yeux, et tout cela fait une très bonne littérature.
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Cette histoire de transmission entre deux générations me tente bien et je suis curieuse de découvrir cette plume bernoise même si ce sera par le biais de la traduction.
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Une traduction qui ne reflète certes par le bernois, mais qui restitue complétement le charme du livre ! Merci pour ton commentaire.
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