
Spécialiste de géopolitique agricole, chercheur à l’IRIS, et Directeur du Club Demeter dedié à la prospective agricole, Sébastien Abis est l’auteur d’une remarquée Géopolitique du blé, montrant l’importance de cette céréale pour les échanges et la sécurité dans le monde. Dans Veut-on nourrir la planète ?, il nous invite à prendre conscience de l’importance de « mettre la sécurité alimentaire au coeur de nos projets collectifs ».
Veut-on nourrir la planète ? Voilà un titre qui, déjà, en lui-même recèle une certaine provocation car l’auteur semble interroger notre volonté collective de répondre au défi de nourrir une population croissante, se nourrissant mieux, et à l’espérance de vie grandissante. Le défi est immense, et c’est la raison pour laquelle le sous-titre du livre s’intitule « Franchir l’Everest alimentaire en 2050 ». Sébastien Abis utilise cette métaphore comme fil rouge pour nous faire prendre conscience des enjeux. Il réfute les récits de déclinisme, qui ne sont autres qu’une « sémantique dévastatrice », et nous invite à penser le temps long.
3 horizons sont évoqués : la sécurité, la soutenabilité et la santé. Concernant le premier horizon, les « traditionnels » facteurs que sont la démographie et la faim sont mentionnés. J’ai beaucoup apprécié cette mise en perspective qui fait sortir les Européens que nous sommes de leur vision centrée sur le monde occidentale ; une Europe qui représentait un cinquième de la population mondiale dans les années 60 pour atteindre seulement 6% en 2023. En comparaison, les développements que connaissent les autres continents et notamment l’Afrique donnent le vertige :
Le continent africain est celui qui connaît la hausse la plus spectaculaire, avec une naissance sur deux d’ici à 2050 et 45% de la population du globe en 2100. Reste à savoir si ces 4,5 milliards d’Africains attendus vivront ou non en Afrique. Cette dernière comptait 800 millions d’habitants en 2000. Le double est attendu pour 2028. Et un nouveau doublement est prévu d’ici 2060, décennie où l’Afrique dépasserait 3 milliards d’habitants… soit dix fois sa taille démographique un siècle plus tôt. (…) En 2050, il y aura à priori autant de personnes au Nigeria que dans la seule Union Européenne (UE). D’ailleurs, ce pays sera alors le troisième le plus peuplé au monde. »
Alors que la faim touche toujours 9% de l’humanité et que l’insécurité alimentaire concerne encore 3 millions de personnes, la consommation mondiale des produits alimentaires augmentera de 15% d’ici 2032. Produire plus est donc une nécessité… mais pas à n’importe quel prix. L’aspect environnemental nous rattrape, qu’on le veuille ou non (conserver les sols, atténuer le réchauffement climatique et s’adapter à celui-ci).
Sébastien Abis dresse ainsi un panorama des défis auquel notre monde doit répondre et montre à quel point la question agricole, à travers la récente pandémie ou la guerre en Ukraine, se rappelle au monde. Alors que les discours de souveraineté trouvent un réel écho, il met en garde contre le nationalisme ou l’isolationnisme.
Par son format succinct, les thèmes développés, ce livre s’adresse davantage aux personnes qui ne sont pas des spécialistes des questions agricoles, la dimension géopolitique en étant une valeur ajoutée. A titre personnel, étant au fait des thématiques, je sors quelque peu déçu de cette lecture. L’auteur avait clairement présenté l’enjeu du livre « Pourquoi nous devons mettre la sécurité alimentaire au coeur de nos projets collectifs », et de ce point de vue, les réponses sont assez claires, mais j’aurais aimé qu’il aille plus loin en abordant davantage le « Comment ». Dans un registre similiaire, je préfère conseiller un livre comme Nourrir l’humanité de Bruno Parmentier, que j’avais lu et chroniqué sur ce blog il y a déjà quelques années.
Quant au livre de Sébastien Abis, je vous conseille :
d’acheter le livre chez votre librairie
X de l’emprunter dans votre bibliothèque si vous souhaitez mieux connaître cette thématique
X de lire autre chose
Veut-on nourrir le monde ? Franchir l’Everest alimentaire en 2050, de Sébastien Abis. Armand Colin, 2024, 144 pages.
Lu dans le cadre de la masse critique Babelio.
je lis peu d’essai mais pourtant je devrais : le thème de celui-ci me semble fort intéressant.
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Merci pour ton commentaire. Je me remets à lire davantage d’essais et je dois avouer que cela aide beaucoup, notamment à comprendre le monde ; ici, il s’agit de surcroît d’un thème essentiel, la sécurité alimentaire mondiale.
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Suivant ton conseil, j’ai lu le billet sur « Nourrir l’humanité » et repensé à Christian de Duve dont le leitmotiv était de rappeler que nous étions trop sur terre et que le premier défi à relever pour rendre le futur vivable était le défi démographique. En plus de l’alimentation, il y a d’autres problèmes à résoudre pour partager les ressources sans les épuiser comme nous le faisons actuellement : l’eau, la biodiversité, le climat – tout est relié.
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Merci pour l’incitation à aller lire Christian de Duve. Je ne sais pas si nous sommes trop sur terre (en tout cas, on commence à parler de baisse de la démographie plus important qu’escompté – mais on ne parle pas des 20 prochaines années bien sûr -), mais au-delà de l’alimentation, c’est aussi la consommation liée à cette population. Pour faire court, la Terre peut sûrement supporter 10 milliards d’individus avec un niveau de vie très modeste, mais sûrement pas 10 milliards aspirants aux « standards » des pays développés. Tu as raison, tout est lié de toute façon, et le thème des ressources n’a pas fini de faire parler de lui ; la « transition énergétique » pourtant si nécessaire fait appel à des ressources non renouvelables très importantes.
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Comme Luociné, je lis assez peu d’essais et n’en suis pas forcément fière. Le sujet de ce livre est évidemment primordial et assez compliqué à traiter dans sa globalité. Du coup, la métaphore avec l’Everest semble tout à fait appropriée. J’imagine que c’est difficile de proposer des solutions concrètes applicables à grande échelle. Chaque territoire, chaque population a ses problématiques et ses atouts. Mais je n’ai pas lu le livre alors je me trompe peut-être sur son contenu et ses intentions.
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Merci pour cet avis. En effet, la métaphore est justifiée et tu as raison quant aux solutions à mettre en oeuvre. On reste néanmoins un peu sur sa faim 🙂
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je l’ai entendu à la radio il était très intéressant à suivre… à l’oral. il est vrai que je ne lis que peu de livres sur des sujets économiques.
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Ca ne m’étonne pas, il a une vraie expertise dans le sujet.
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Ça fait partie des sujets que je suis plutôt via des reportages (merci Arte 😅) et des émissions radio car je suis souvent paresseuse/intimidée face aux essais. Mais j’aime l’approche provocatrice de celui-ci !
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C’est déjà une belle approche de se tenir informé des thèmes via ces reportages de qualité ! Je ne le fais personnellement plus assez, mais par contre, je suis davantage les émissions de radio/podcast qui sont souvent très éclairantes en effet.
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Merci pour ce « défrichage », bien noté le conseil (bibliothèque…).
Vous pourriez ajouter un quatrième item « Si vous le trouvez en boite à livres ou d’occasion… » 😉
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
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Merci ! C’est juste, les livres d’occasion en particulier deviennent une marchandise de plus en plus répandue. Je lisais récemment un article illustrant le manque à gagner significatif pour les maisons d’édition. Néanmoins, cela permet de donner plusieurs vies au livre, ce qui est souhaitable.
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Peut-être faut-il commencer par celui-ci ? il doit être plus simple que l’autre et plus facile d’accès pour un béotien, non ?
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Oui et non :-). En fait, je trouve que l’autre est très clair et constitue un très bon ouvrage de vulgarisation.
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