Claire Marin – Les débuts

Après le succès de Rupture(s) et Etre à sa place, la philosophe Claire Marin s’attache à un thème essentiel qui façonne nos existences : les débuts.

Le début, à la différence du commencement, est une expérience verticale du temps. Le début tranche, il interrompt le temps, là où le commencement s’y écoule paresseusement. 

Même si je n’ai pas encore lu ses précédents ouvrages, je ne m’étonne pas qu’ils aient trouvé un accueil très favorable auprès des lecteurs. Scindé en de nombreux petits chapitres, le présent ouvrage repose, outre la réflexion personnelle de la philosophe, sur la pensée d’autres philosophes rendue très intelligible mais aussi sur l’évocation de romans.

Les débuts marquent en général une vraie césure, un bouleversement dans l’existence. On pense évidemment au début d’une histoire d’amour, d’un apprentissage, d’un projet, mais cela peut aussi être celui d’un roman tout simplement. Il y a des débuts heureux (la naissance d’un enfant), d’autres moins (le décès d’un conjoint) ; des débuts choisis, d’autres subis. A lire ces lignes, on se dit qu’il n’y a rien de plus facile que d’identifier des débuts. Or, ce n’est pas le cas. Ils ne sont pas tous très clairs, ils résultent parfois d’une certaine maturation. Quelques philosophes réfutent même de penser les débuts : Bergson, par exemple, compare la vie à un « enroulement continu » (« ce qui apparaît est toujours précédé », résume Claire Marin). Bachelard, quant à lui, s’oppose à Bergson en disant que les débuts existent bien, et qu’ils nous forcent d’ailleurs à rajeunir !

Il y a beaucoup de notions, d’extraits intéressants à citer à partir de ce livre, mais j’aimerais maintenant m’appesantir sur un point qui me semble très important : on peut commencer quelque chose de nouveau quels que soient l’âge et l’issue, même si on sait qu’on ne peut le mener à bien ou jamais maîtriser tout. Ce qui en jeu est ailleurs : il s’agit d’avoir accès, comme le dit l’autrice, à « des émotions neuves, à des relations inédites avec les autres », en résumé d’avoir une posture active :

Nous n’avons pas l’âge que le temps imprime à nos corps, tant que nous continuons à espérer d’autres commencements. Ils manifestent le sentiment intime d’une irréductible jeunesse. Les débuts qu’on imagine encore traduisent notre rapport au possible et notre désir d’accueillir l’inattendu. (…) A tenir debout sans béquilles, on retrouve cette exaltation presque adolescente de celui qui s’extrait du familier pour faire une plus grande place à sa singularité. Conquérir et apprivoiser une nouvelle autonomie. Grandir, étendre le domaine de nos possibilités, prendre le risque d’échouer. Se sentir démuni, désarçonné ou curieux, impatient de se débrouiller tout seul. Découvrir ce dont est capable seul, à dix-huit, quarante ou soixante-quinze ans. 

J’ai trouvé ces propos très rassérénants, tout comme ceux selon lesquels on a toujours une seconde chance :

Ainsi, la « première fois » est moins une première fois au sens chronologique qu’au sens psychologique. C’est la modalité de la conscience, son attention à l’événement qui fait de la « seconde » première fois la véritable « première fois ». (…) L’idée de première fois désigne une intensité du vécu, une spécificité et une force de l’expérience plus qu’un repère chronologique. 

Au final, Les débuts est un essai accessible, qui constitue aussi bien une fenêtre ouverte vers la pensée des philosophes, qu’une invitation à l’action du point de vue personnel.

Je vous conseille donc :

X d’acheter ce livre chez votre libraire

X ou de l’emprunter dans votre bibliothèque

de lire autre chose

Les débuts – Par où recommencer, de Claire Marin. Editions Autrement, 2023, 192 pages.

11 réflexions sur “Claire Marin – Les débuts

  1. Avatar de Sacha Sacha 20 avril 2024 / 14:16

    Cette vision des choses est rassurante et très stimulante ! Et ça donne envie de replonger dans la philosophie (laissée de côté depuis le bac!).

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    • Avatar de Patrice Patrice 21 avril 2024 / 21:06

      En effet ! Et c’est une philosophie rendue intelligible pour le grand public. Je m’y suis remis récemment (à travers le livre d’Hartmut Rosa – Rendre le monde indisponible) pour mon plus grand plaisir !

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  2. Avatar de luocine luocine 20 avril 2024 / 19:47

    je lis peu ce genre delivres ils me tentent souvent mais je ne les finis que rarement

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    • Avatar de Patrice Patrice 21 avril 2024 / 21:09

      Et pourtant, je dirais que celui-ci se lit très bien. A titre personnel, je revendique de passer vite sur les passages que je trouve trop complexes.

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  3. Avatar de je lis je blogue je lis je blogue 21 avril 2024 / 07:54

    J’imagine que cet essai s’adresse, non pas aux philosophes, mais plutôt à un public assez large. Les extraits que tu cites sont en effet réconfortants et incitent à aller de l’avant.

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    • Avatar de Patrice Patrice 21 avril 2024 / 21:10

      Merci pour ton commentaire. En effet, ce sont des ouvrages de vulgarisation mais relativement riches dans leur contenu. J’ai beaucoup aimé cet aspect du livre, il donne beaucoup d’élan et invite à se poser la question de ce qu’on aimerait à nouveau débuter.

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  4. Avatar de Athalie Athalie 21 avril 2024 / 08:11

    J’aime beaucoup l’idée des débuts à tout âge ! C’est vivifiant mais je sais que je ne lirais pas ce texte, je n’arrive pas à lire des essais, mais je suis ravie d’avoir lu ta note !

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    • Avatar de Patrice Patrice 21 avril 2024 / 21:14

      Je suis heureux de lire que ma chronique t’a plu. Au moins elle t’a permis de saisir quelques idées du livre sans devoir le lire 🙂

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    • Avatar de Patrice Patrice 21 avril 2024 / 21:15

      Merci pour ton commentaire, Dominique, il faut que j’aille me renseigner sur ce livre !

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