
Les éditions Agullo ont eu la bonne intuition de choisir Petra Klabouchová parmi leurs auteurs. Jusque-là inconnue des lecteurs francophones, elle est actuellement l’une des autrices les plus lues en République tchèque. Journaliste de formation, Petra Klabouchová n’a pas peur d’explorer les méandres les plus noires de l’âme humaine. Ainsi, dans Près du mur nord, qui affiche d’ailleurs une fière note de 94% sur un site qui est l’équivalent tchèque de Babelio, elle amène le lecteur dans la Tchécoslovaquie des années 50, alors que le régime au pouvoir appliquait la devise « Qui ne va pas avec nous, va contre nous ».
Très bien construit, le roman alterne entre les années 50 et la période contemporaine, vers 2010. L’histoire d’après-guerre (Les dossiers noirs) s’appuie sur des faits historiques et des destins de Tchèques ayant été internés dans une prison praguoise où les communistes ont poursuivi (et parfois tristement dépassé) les pratiques mises en place par les Nazis lors du Protectorat. L’autrice suit le sort de femmes (souvent très jeunes et enceintes) et de leurs enfants et l’on se retrouve estomaqué par la brutalité du régime prêt à tout au nom du peuple et de soi-disant lendemains radieux, où les directives du parti étaient souvent appliquées par des êtres inéduqués, frustrés, violents (l’une des prisonnières est ainsi déclarée coupable dans un procès présidé par un boucher et un serrurier). Tout était prétexte à condamnation : une affiche collée en cachette, la foi en Dieu, les luttes au sein du parti, une belle propriété, une dénonciation venant même d’un enfant…
L’action Kámen (= pierre) menée par la police secrète qui a créé à certains endroits (dont l’un pas très loin de chez moi) des frontières factices ; le miracle Číhošť (dont s’est librement inspiré Skvorecký dans un de ses livres) font également partie du dossier et l’autrice en illustre toute la monstruosité.
Régulièrement, on revient en 2011 pour suivre un certain Homme au coeur troué. Se déroulant essentiellement dans une maison de retraite ou dans un cimetière, loin du pont Charles ou du Château, cette partie (fictive) n’aura pas pour mérite d’augmenter les chiffres du tourisme à Prague comme le fait par exemple Bannalec en Bretagne. En effet, l’autrice excelle dans les descriptions des lieux (on y est !) et brosse un portrait peu flatteur de la société, tout en créant une ambiance très noire et désespérée, malheureusement typique de tous les livres traitant des crimes du XXème siècle restés impunis.
Ne pardonne pas, le pardon n’appartient qu’à Dieu !
Avec Près du mur nord, Petra Klabouchová nous offre un roman qui se lit en apnée dès le début jusqu’à la fin. Très bien documenté, sans longueurs, mais évidemment très dur. Pourquoi s’infliger une telle lecture difficile ? Tout d’abord en mémoire des prisonnières politiques dont les noms ne figurent pas toujours dans les manuels scolaires et auxquelles l’autrice a rendu leur dignité, mais aussi comme un avertissement à une époque où on voit la vérité être de plus en plus déformée et la liberté d’expression menacée.
Croisons les doigts pour qu’Agullo édite également Aux sources de Moldau (son précédent livre). En attendant, n’hésitez pas à suivre mon conseil :
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Près du mur nord, de Petra Klabouchová, traduit du tchèque par Barbora Faure. Agullo, 2025, 416 pages.
c’est noté car depuis quelques temps je fais de belles lectures à l’est donc je vais continuer sur ma lancée
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Un enthousiasme notable, bon, pour l’instant j’attends. Désolée, si tu voyais ma pile à lire…
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Je prends bonne note de ton conseil…
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Noté! je ne connais pas encore la Tchéquie ni Prague, une occasion?
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Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller à Prague (sauf lors d’une ou deux lectures !)… ce roman semble très fort, mais il faut choisir son moment pour le lire, j’imagine.
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Je suis allée en Tchécoslovaquie dans les années 70, je pense que l’ambiance me rappellera certaines choses. Par contre je n’ai pas lu d’auteurs tchèques, c’est bien que cette littérature soit de plus en plus présente en français.
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J’ai vu ce livre en librairie. Contente d’avoir au moins un avis dessus.
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En te lisant, je me suis demandée pourquoi tu avais choisi Eva cette lecture qui m’apparaît si dure. Je comprends ce devoir de mémoire alors merci pour cette suggestion.
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Ca rejoint ma récente lecture des Dernières déesses mais le sujet n’était visiblement qu’effleuré par rapport à ce roman-ci. Tu as raison, rappeler la mémoire de ces victimes est important, on voit assez que la barbarie est hélas universelle et intemporelle…
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je trouve cet avis absolument passionnant et je rage de devoir le noter car je n’écluse que très peu mon retard !mais c’est une rage positive !
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Un roman que j’ai adoré sur cette période que nous connaissons trop peu. Tu as raison : Agullo a bien fait d’éditer et de nous faire découvrir cette auteure.
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Bonsoir, je l’ai repéré en bibliothèque, je l’ai noté pour un emprunt futur mais pas tout de suite. Bonne soirée.
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