Après avoir fait le choix des livres pour le Mois de l’Europe de l’Est, il nous a rapidement sauté aux yeux que beaucoup d’entre eux évoquent la Deuxième Guerre Mondiale ou d’autres périodes tragiques du XXème siècle en Europe. Pour rompre un peu avec cette lignée, je vous propose un agréable dépaysement venant de la plume d’une auteure tchèque Petra Hůlová. Attelez votre cheval et suivez-moi dans Les montagnes rouges en Mongolie !
Quand il y a le shoroo chez nous, des sacs en plastique virevoltent tout autour du ger. Je m’assois parfois dehors pour regarder le sable tournoyer, l’horizon se teinter d’or et de brun et le soleil, mat et tremblant dans un tourbillon de poussière jaune. Les chaussures virent au gris sous une pellicule de poussière, cette poussière qui pique les yeux et crisse entre les sabots des chevaux ; elle rend tout le troupeau nerveux et le nokhoï est à la peine pour séparer les juments qui allaitent et leurs poulains des autres.
Petra Hůlová a étudié la langue et la littérature mongoles à l’Université Charles à Prague, puis a vécu à Oulan-Bator. Son expérience lui a permis d’écrire un formidable premier roman, acclamé par les lecteurs et critiques enthousiastes et couronné par Magnesia Litera (une sorte de Goncourt tchèque). Depuis, elle a écrit 7 romans, et un autre est en préparation.
Dans Les montagnes rouges résonnent les voix de plusieurs femmes de trois générations. Celle qu’on pourrait désigner comme le personnage principal prend la parole dans la première partie qui représente presque la moitié du roman. Elle s’appelle Dzaïa – on ne se rend véritablement compte de son prénom que dans la seconde moitié du livre quand les autres femmes de la famille (sa mère et ses sœurs) racontent leur point de vue et l’intègrent dans leurs histoires.
Maman ne trouvait pas papa particulièrement répugnant, il était gentil, savait bien s’occuper du troupeau, ils se sont donc mariés. Avant que l’année ne se soit écoulée, Magi était née et Alta était devenue une mère et donc une femme honorable avec tous ses attributs.
On suit ainsi la vie de Dzaïa avec sa famille dans la steppe, habitant dans une yourte. Tuuleg et Alta ont eu à part Dzaïa 3 autres filles – c’est plutôt embarrassant car un garçon aurait été clairement plus apprécié ! Nous sommes dans une famille qui vit plutôt aisément grâce au bœuf et au cachemire de qualité. La distribution des tâches est faite de façon traditionnelle – papa s’occupe des bêtes, maman fait tout le travail autour des enfants et de la yourte et tout est supervisé par la grand-mère paternelle. Les aînés doivent à leur tour s’occuper de la plus petite, aider avec les tâches ménagères… Dzaïa a une relation fusionnelle avec sa sœur Nara, elles passent beaucoup de temps ensemble, à jouer aux osselets, à sortir à cheval, mais aussi à torturer la petite Oyuna… Dès le plus jeune âge, Dzaïa et Nara sont confrontées à des remarques concernant leur apparence. Leur peau, leur couleur de cheveux ne seraient pas 100% de type mongol…
Nara a toujours été de mon côté, et moi du sien. Quand je tourmentais Oyuna, elle distrayait maman, et quand Magi avait fait exprès de tondre son agneau préféré, je lui avais donné le mien, et j’avais fourré dans le lit de Magi des scarabées puants. Magi dormait toute seule, et c’était bien fait pour elle.
Arrivée à l’adolescence, Dzaïa quitte sa yourte natale pour partir vers Oulan-Bator. Elle se retrouve dans un immeuble préfabriqué et vit une vie à l’opposé de celle dans la steppe, travaillant dans une cantine. Bientôt, son histoire prendra une autre tournure… une histoire qu’elle partage avec nous avec une franchise désarmante. Je ne veux pas vous en raconter trop, ça gâcherait tout le plaisir de démêler petit à petit tout le passé de Dzaïa, mais aussi de sa mère et de sa grand-mère.
Pendant quelques jours au début, j’ai essuyé les tables et le sol, j’ai fait la vaisselle, vidé le thé et ne touchais que rarement aux casseroles. Peu de choses pouvaient donc être gâchées. Mais ensuite il m’est arrivé d’être seule dans le guanz et au milieu des volutes de fumée, je confondais les gamelles et zigzaguais en suant pendant que les gens criaient derrière le comptoir et que l’eau des casseroles de pâtes débordait.
J’ai été comme ensorcelée par la belle langue employée par l’auteure, très bien rendue par la traduction. Il y a beaucoup de poésie dans certaines phrases, ponctuées par de charmantes associations ; pourtant les mots sont simples, comme si tout nous était raconté par une amie, un soir au coin du feu. Malgré la distance qui nous sépare, leurs soucis restent universels et l’histoire pourrait se passer… pourquoi pas, avec un peu de fantaisie, en France ? Il suffirait de convertir les heures à cheval en kilomètres, vêtir une chemise au lieu d’un deel, boire du cidre au lieu de kumys (ou vodka, l’influence russe oblige…) et aller se retrouver dans un estaminet au lieu d’un guanz !
Des malades, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Comme les grains de riz dans un bol de déjeuner, comme les puces dans une vieille peau de loup, disait maman à propos des choses qui étaient nombreuses. Comme des bleus sur les corps des oisifs d’Oulan-Bator, comme les crachats à un coin de rue de cette ville pouilleuse, je dirais.
Malgré la différence de culture, on se sent très proche de toutes les femmes du livre, on n’est pas là pour juger. On dirait que (malgré le destin qui s’abat sur eux) l’auteure est restée très tendre avec ses personnages. Ce fait ressort surtout au moment où l’on passe dans la deuxième partie du livre.
En extrapolant la vie en ville et dans la steppe, la génération des jeunes et des anciens, les hommes et les femmes, Hůlová nous entraîne dans le monde des Mongols et brosse un tableau coloré de sa société et de son évolution, vu par les femmes. La beauté de la nature, le savoir des ancêtres et la transmission, mais aussi l’alcool, la promiscuité et le déracinement, les influences des Russes et des Chinois… plus de 300 pages très vivantes où l’histoire ne s’essouffle jamais. Encore un livre qu’on referme avec regret et que je vous conseille :
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Les montagnes rouges, de Petra Hůlová, traduit du tchèque par Hana Allendes-Říhová et Arnault Maréchal. L’Olivier, 2005, 334 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
Je suis convaincue que j’aimerais beaucoup cette histoire… la nature, la poésie, la famille, autant de thèmes pour me plaire. Merci pour la belle suggestion!
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Un beau roman, visiblement, et certainement dépaysant! C’est d’autant plus tentant que je ne connais vraiment pas grand chose de la Mongolie.
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Je suis sûre d’être dépaysée par ce roman et jadore6ca.
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là on est carrément à l’est !!
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Que de livres refermés avec regret ! Encore un auteur tchèque, je les recherche pour préparer mon voyage à Prague . claudialucia
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Cette chronique donne très envie…
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Si je n’avais pas lu cet article, voila un livre dont je n’aurais jamais entendu parler, merci pour la découverte, je note:)
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