
J’ai déjà eu le loisir de dire sur ce blog tout le bien que je pensais de l’émission Le Nouvel Esprit Public, de Philippe Meyer, diffusée sur Internet. Quel plaisir d’écouter les différents intervants expliquant sans interruption leur point de vue sur le ou les thémes choisis dans le rendez-vous dominical. Elle est agrémentée de temps à autre par des rendez-vous thématiques ; c’est à cette occasion que j’ai pris connaissance de l’ouvrage de Pierre Veltz, L’économie désirable.
Ingénieur des Ponts et Chaussées, sociologue, économiste, polytechnicien spécialiste des dynamiques territoriales, Pierre Veltz est l’auteur en 1996 de Mondialisations, villes et territoires où il mentionne la concentration des activités dans un ensemble de grandes régions urbaines (on ne peut lui donner tort 25 ans après) ainsi que de La société hyper-industrielle, qui reçut le prix du livre d’économie en 2017.
L’économie désirable a pour dessein de tracer des voies pour « sortir du monde thermofossile ». Un des grands mérites de l’auteur est de nous proposer cette synthèse en à peine plus de 120 pages et d’aller au-delà des idées reçues. Dans un premier temps, il nous montre que l’industrie reste au cours de l’économie (c’était déjà le cas dans son précédent ouvrage) ; on est encore loin d’une société de l' »immatériel » :
« … ciment, acier, papier, aluminium, plastique. Ces cinq matériaux à eux seuls sont responsables de 55% des émissions de CO2 de l’industrie. Leur demande a quintuplé depuis 1960 et elle est toujours en forte croissance. Certains chiffres sont à peine croyables : pour ses villes et ses infrastructures, la Chine a utilisé en trois ans (2011-2013) près d’une fois et demie plus de ciment que les Etats-Unis durant tout le XXe siècle. (…) Le numérique, ce sont des cables sous-marins, posés en continu par de gigantesques bateaux. Ce sont des satellites-relais et, maintenant, des constellations de micro-satellites pour absorber la croissance explosive du streaming. Ce sont de gigantesques fermes de serveurs, pour abriter le cloud (…) »
Pierre Veltz insiste sur les nécessaires gains d’efficacité dans une société gourmande sur les ressources, tout en nuançant sa portée en raison de l’effet rebond (hausse de la consommation quand on améliore le rapport efficacité-ressources d’un produit) et la profondeur technologique croissante des produits.
Produire mieux, cela est bien connu ; mais la question fondamentale que pose Pierre Veltz est bien celle du quoi produire :
Nous voyons nos économies comme de grands paquebots dont il faudrait changer la motorisation, l’aménagement des ponts, le menu du restaurant. Mais il faudrait aussi interroger leur parcours et leurs destinations. (…) Chacun reconnaît qu’il faut verdir l’industrie automobile et aéronautique. Certes. Mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est une nouvelle industrie de la mobilité.
Dans ce cadre, il propose et détaille une vision « mobilisatrice et positive » autour de ce qu’il appelle « l’économie humano-centrée » : toutes les dépenses concernant « l’individu, son corps, ses émotions, son intelligence » représentent les secteurs où l’on devrait se spécialiser.
Enfin, Pierre Veltz passe en revue certains thèmes (l’aspect local, la fiscalité verte, la technologie) et apporte un angle de vue très intéressant allant à rebours de certaines idées bien établies :
- Oui, le local est important mais « la question, en réalité, est moins celle de la « relocalisation » d’entreprises avec armes et bagages, et susceptibles de revenir au pays, que celle de la maîtrise des grandes chaînes de valeurs mondialisées ». Sur la production alimentaire notamment, « l’enjeu de la proximité est social et sociologique avant tout. Il est de recréer du lien concret dans un univers devenu abstrait et impersonnel »
- Il nous incite à prendre compte des interdépendances et des fausses bonnes idées. Par exemple, alors que la grande ville est brocardée, il souligne que la densité reste un moyen très efficace d’économiser la ressource et insiste sur l’importance des réseaux de transport collectif
Les coeurs de ville représentent 2% des émissions, les échanges internes aux couronnes urbaines 73% et les échanges entre coeur et couronne 25%. Oublions donc les coeurs urbains, leurs voies sur berges et leurs pistes cyclables. Les médias ne parlent que de cela, mais les enjeux sont ailleurs. Le problème est celui des nappes suburbaines, proches ou lointaines, et des zones rurales peu denses. Les choses seraient très différentes si l’on avait su concentrer la croissance le long d’axes de transports collectifs.
- L’isolation des logements fait partie justement des points qu’il nuance en terme de gain énergétique
Bien sûr, réduire les passoires thermiques est une politique indispensable. Mais, outre le fait que la rénovation des enveloppes est particulièrement sensible à l’effet rebond (on monte le thermostat et tout le gain est perdu), cette obsession des enveloppes du bâtiment laisse de côté d’autres enjeux, de magnitude équivalente : le carbone gris des matériaux de construction, les équipements électriques et électroniques du logement, le mode de production de la chaleur et du froid. Elle oublie surtout que la localisation est le premier facteur d’émissions. Une bouteille thermos dans un lotissement inaccessible est moins écologique qu’un logement à peu près isolé mais relié aux transports publics.
Enfin, la dernière partie du livre sur la fiscalité et la finance est également très éclairante. In fine, il nous invite à voir les limites de la régulation par les marchés et pointe finalement le rôle nécessaire de l’Etat et de la planification pour construire cette économie dite désirable.
Livre passionnant, extrêmement riche que je vous conseille vivement :
X d’acheter chez votre libraire
ou d’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
L’économie désirable, de Pierre Veltz. Sortir du monde thermo-fossile. Seuil, collection République des idées, 2021, 128 pages.
Dans mon coin de Bretagne, rien n’est fait pour les transports. La « grande » ville la plus proche (Lannion 15 000 habitants) est sur le point de construire un 4e pont pour que les voitures traversent plus vite le Leguer : 5 minutes d’attente le matin et 5 minutes le soir, c’est insupportable pour bien des gens. D’où des sommes colossales pour la construction d’un 4e pont. Mais le développement des transports entre Lannion et les villages alentours qui permettraient de ne pas prendre la voiture et donc de désengorger le centre ? Ça n’est pas au programme…
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Ton commentaire est très pertinent. On voit un problème, on imagine une solution. Au lieu de prendre du recul pour analyser les choses de façon plus globale. Malheureusement très juste…
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Je ne savais pas que l’émission de Philippe Meyer, que j’aimais beaucoup entendre à la radio, continuais sur Internet. Je vais aller voir ça de ce pas…
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Oui, et je l’ai appris également grâce à un commentaire d’une blogueuse. Je me suis abonné au podcast et je suis toujours avec grand intérêt les rendez-vous hebdomadaires (qui se sont enrichis de « Bada », mais je te laisse découvrir le tout sur https://www.lenouvelespritpublic.fr/)
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