
En ce jour, où l’on commémore les 33 ans de la chute du Mur de Berlin, j’ai souhaité vous présenter symboliquement un livre qui évoque ce pan de l’histoire allemande. A mon grand bonheur, les éditions Verdier ont eu l’heureuse idée de publier cette année le roman Stern 111 qui est sorti en Allemagne en 2020. Son auteur, Lutz Seiler, est un écrivain allemand bien connu dans son pays natal, suite à la publication de son premier roman Kruso en 2014, qui a d’ailleurs recu le Prix du Livre allemand. Alors, êtes-vous prêts à une petite virée dans Berlin ?
L’espace d’un instant, il sentit s’insinuer en lui le soupçon que le monde auquel il appartenait avait disparu subrepticement et qu’il n’était qu’un survivant, un morceau de bois pourrissant emporté par le fleuve immense des temps nouveaux.
Le roman débute avec Carl Bischoff qui rejoint ses parents à Gera – ces derniers veulent profiter de l’ouverture inattendue des frontières et, comme la situation politique reste imprévisible, ils prennent une décision rapide : partir à l’ouest et laisser la garde de la maison à leur fils Carl. Maman a pensé à tout, les enveloppes avec de l’argent et même les bocaux sont prêts et Carl n’aura donc aucun souci à se faire.
C’était le moment ou jamais, on changeait de vie. Après le rideau de fer, le pont d’or.
Carl, alors âgé de 26 ans, n’ayant aucune nouvelle de ses parents, s’impatiente et quitte finalement son poste de gardien pour partir à Berlin. Par un jeu de circonstances, ses pas l’amèneront dans des groupes qui occupaient (ou habitaient comme ils disaient) des appartements ou immeubles entiers inhabités.
Dans ce quartier, on s’est toujours bien amusé. Il y a juste eu cet intervalle de quelques dizaines d’années, où ça n’était plus vraiment ça.
Avec Carl, on parcourt Berlin dans sa shiguli, on adhère à un mouvement qui rêvait d’un nouvel ordre… Ces immeubles squattés dans le centre de Berlin donnent l’impression d’être une zone extraterrestre, hors la loi, au milieu d’un pays qui cesse d’être partagé en deux. Une situation unique et passionnante. L’endroit, où Carl (alias Seiler comme je l’explique plus loin) travaillait comme serveur est le fameux Cloporte (die Assel en allemand; vous pouvez d’ailleurs visionner des photos des lieux et de certains personnages du livre sur Internet) qui attirait diffèrents individus – des artistes de toutes sortes, des existences perdues, des voyous… Les détails m’étaient inconnus (la naissance du Cloporte, la scène berlinoise ou alors comment choisir un appartement apte à être squatté ?), j’étais donc ravie d’en apprendre plus. Carl, en tant que maçon, est apprécié (on avait besoin d’outils et de savoir-faire), mais il rêve aussi de devenir poète, il écrit, réécrit, philosophe. De temps à autre, il reçoit des nouvelles de ses parents que j’ai littéralement pris en affection. J’avoue avoir à chaque fois vérifié combien de pages il me restait encore à lire avec Carl avant d’enfin retrouver Inge et Walter. L’auteur a su dresser un portrait très touchant et tendre de ses parents. La volonté de saisir la (peut-être) dernière opportunité à l’âge de 50 ans, le passage de la frontière, les premières rencontres avec ceux de l’autre côté, le séjour dans un camp pour les réfugiés, la recherche du travail… tout ça pourrait donner un livre à part entière.
De l’autre côté de la passerelle, que délimitait une grille, quelques indigènes vinrent à leur rencontre, des habitants de Giessen. « Je voyais leurs visages, Carl, leurs regards, j’aurais aimé tout leur expliquer, mais j’avais honte. »
Quand les lampes s’allumaient dans les salles (avant qu’on tire les rideaux et qu’on baisse les stores), Walter pouvait voir les silhouettes des villageois, leurs gestes du soir, pleins d’assurance, C’est ainsi qu’avait commencé à grandir en lui, secrètement, jour après jour, ce sentiment paralysant d’être inférieur, faible et sans valeur.
Une fois le livre refermé, je suis comme d’habitude allée voir la biographie de l’auteur. Son parcours, tel qu’il est décrit sur Wikipedia, laisse entrevoir que Stern 111 est largement autobiographique – l’auteur ayant beaucoup de points communs avec le personnage principal, Carl. J’admets aussi que j’ai un petit faible pour les romans qui traitent de la RDA, du Mur de Berlin… il n’est donc pas étonnant que j’ai savouré ce roman qui, malgré le nombre de pages, n’est pas difficile à avaler.
Très intéréssant du point de vue linguistique, on devine derrière de nombreux passages l’autre facette de l’auteur qui écrit également de la poésie. Lutz Seiler ne s’attarde pas forcément sur la politique, elle n’est mentionnée qu’à travers certaines mesures (par exemple la réforme monétaire). Il saisit parfaitement l’ambiance, nous rapproche du milieu de cette gauche révolutionnaire avec ses discours idéalistes dans des maisons délabrées tout en contraste avec des développeurs immobiliers qui rôdent déjà autour, sentant une opportunité unique. Avec Inge et Walter, on redescend sur terre et on revit le tatonnement hésitant entre deux pays qui se découvrent pour former finalement un tout… A lire !
Mon conseil :
X achetez-le chez votre libraire
X empruntez-le dans votre bibliothèque
lire autre chose
Stern 111, de Lutz Seiler. Traduit de l’allemand par Philippe Giraudon. Verdier, 576 pages, 2022.
Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes.
Le nombre de pages m’a retenue, mais je note que tu as trouvé ce petit pavé, dont le thème me parle aussi, très digeste, donc je ne l’exclus plus (mais pas prévu dans l’immédiat) 😉 !
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Le livre se lit très bien mais il faut s’intéresser un minimum à l’Allemagne ou au moins Berlin 😉
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T’inquiète, les deux m’intéressent 😉!
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Bien tentée mais je vais d abord lire la pile destinée aux Feuilles Allemandes puis s il me reste du temps…en tout cas je le note
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Garde le bien au chaud pour Les feuilles allemandes 2023 ! 😉
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Je n’ai même pas encore eu le temps de lire votre billet précédent, vous êtes très prolifiques tous les deux ! Je suis très intéressée, j’ai parfois l’impression que la chute du mur et ses suites sont plus ou moins tombées dans les oubliettes de l’Histoire, du moins si j’en crois les jeunes que je côtoies, mais c’est la même chose pour une grande partie de l’histoire du XXème siècle, beaucoup ignorent qui étaient vraiment Allende ou Franco par exemple, alors que c’était hier, finalement… bon j’arrête de faire ma vieille ronchon, et note ce titre !
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Je suis absolument d’accord avec toi ! Pareil pour la Révolution de Velours en Tchéquie – c’est un passé très lointain pour les jeunes d’aujourd’hui…
Et le 11 novembre ? …
Je pense que le livre pourrait te plaire, surtout si tu t’intéresses à l’Allemagne.
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Il a échappé à mon radar et c’est un tort manifestement… merci de la découverte (malgré un nombre de pages qui fait mal) !
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Oui, le catalogue de Verdier est très riche !
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Je connais mal mais c’est à travailler 🙂
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Ah, il me tarde de lire cet auteur. J’avais noté ce titre mais j’ai été raisonnable pour une fois parce que Kruzo m’attend déjà !
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Kruso m’attend aussi !! Mais j’ai finalement cédé et j’ai commencé par son dernier 🙂
Tu penses lire Kruso encore cette année ?
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Pourquoi pas… j’hésite encore entre plusieurs livres possibles.
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Je découvre grâce à toi cet écrivain. Je suis allée consulter sa biographie sur Wikipédia mais la page française est très succincte. Il faut lire celle en anglais (ou en allemand pour ceux qui parlent cette langue). Cela m’a conduit vers plusieurs articles dont un de la revue Germanica 2020/1 (n° 66), où j’ai appris que le Stern 111 est un modèle de petite radio portative fabriquée en RDA dans les années 1960. Il y a également une recension de Kruso dans la revue Allemagne d’aujourd’hui 2017/1 (N° 219).
J’ai déjà pas mal d’ouvrages dans ma PAL des « feuilles allemandes » mais je garde ses deux ouvrages en tête au cas où il me resterais du temps avant la fin du mois.
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Merci Doudou pour ces articles intéressants !
Kruso m’attend déjà 🙂 Si tu t’intéresses à l’histoire allemande, le livre te plaira sûrement.
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et oui tout cela c’est déjà du passé mais cela doit être encore bien vivace dans la mémoire des allemands de cette époque . Ce titre est tentant.
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33 ans déjà… incroyable, je trouve
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Dès qu’on me parle de Berlin, je suis tentée… donc, si en plus c’est un bon roman, on passera outre le nombre de pages ! 😉
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N’hésite pas !
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Un moment de l’histoire qui est pourtant dans les programmes scolaires … L’itinéraire du personnage me parle beaucoup. Je retiens ce titre pour pus tard, parce que je commence à peine un titre pour participer aux feuilles allemandes de cette année !
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Il faut mieux le garder pour plus tard, tu as raison ! Bonnes lectures 🙂
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Je vais me le procurer, j’étais à Berlin le soir de la chute de Berlin, j’aime cette ville, sa folie… dans les années 80 j’y ai passé pas mal de temps. J’ai des amis là-bas, qui me disent que son dynamisme existe toujours !! Merci pour ce partage.
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