Peter Schneider – Le Sauteur de mur

Construit en 1961, Le mur de Berlin a longtemps symbolisé la césure entre les deux Allemagnes, en plus d’être un symbole de la guerre froide marquant l’Europe après la Seconde Guerre Mondiale. Il n’est donc pas étonnant de voir ce « mur » être un des thèmes prédominants dans la vie artistique allemande, aussi bien en musique, peinture, cinéma et littérature. Le sauteur de mur, de Peter Schneider, à mi-chemin entre le roman et l’essai, se déroule dans le Berlin des années 70 et met en scène un écrivain de Berlin-Ouest et ses voyages au-delà du mur…

Avant d’aller plus en avant dans le résumé du livre, attardons-nous sur son auteur, Peter Schneider. Né à Lübeck en 1940, il adhéra au parti social-démocrate allemand (il rédigeait d’ailleurs des discours pour le futur chancelier Willy Brandt) avant d’opérer un virage plus contestataire et devenir l’un des chefs des mouvements de contestation en 1968 dans son pays (il y cotoyait Hans Magnus Enzensberger, devenu lui-aussi l’un des acteurs majeurs de la littérature allemande, auteur d’« Hammerstein ou l’intransigeance », que je vous conseille vivement).

Dans la courte préface, si utile pour comprendre l’auteur et son oeuvre, l’auteur considère Le Sauteur de mur comme un « faux-roman ». Je l’ai personnellement classé comme un roman/récit. Inspiré de l’histoire d’un écrivain dissident, Peter Schneider y présente des rencontres avec des dissidents, mais aussi des anonymes qui lui livrent des anecdotes qui ont souvent un point commun : ces gens qui franchissent la frontière. Qu’il s’agissent du chomeur Kabe qui sautera quinze fois ou des étudiants de l’Est dont la maison longe le mur et qui décident d’aller au cinéma à l’Ouest pour regarder des westerns… avant de rentrer tranquillement chez eux. Ou encore de l’histoire (vraie) de Gartenschläger, qui s’était mis en tête de démonter des détonateurs placés le long de la frontière de la RDA.

Ces histoires et les discussions qu’ont l’écrivain avec les gens qu’il rencontre ouvrent la voie à des réflexions sur cette identité, la façon dont les discours officiels s’insinuent dans la pensée de gens et interpellent le lecteur plus de 30 ans après la chute du Mur :

Démolir le mur en pensée, cela prendra plus de temps qu’il n’en faudrait à une entreprise pour le même travail. Pommerer et moi, nous avons beau nous éloigner autant que nous le pouvons, dans nos rêves, de nos Etats : nous ne pouvons pas parler ensemble sans qu’aucun Etat s’exprime par notre bouche. Quand spontanément je me réclame des majorités, et que Pommerer s’en méfie, nous nous révélons tous les deux les fils obéissants du système qui nous a élevés. Les pronoms « vous », et « nous », « chez nous », « chez vous », omniprésents dans toutes les familles appartenant aux deux Allemagnes, ne sont pas seulement des abréviations qui évitent de nommer les Etats. Ils désignent une manière d’appartenance qui persiste au-delà de toute option politique. C’est seulement quand les interlocuteurs ont récité la leçon cachée derrière ces abréviations que peut commencer un entretien sur la vie, qui continue encore pour toute le monde derrière le mur.

Je sors de cette lecture avec un bilan assez mitigé. D’un côté, j’ai beaucoup apprécié ces prises de position montrant à quel point ces deux Allemagnes se développaient dans leur logique propre, de même que le ton ironique et les histoires de ces sauteurs de mur. Pour autant, j’ai eu une impression d’un livre un peu décousu, pas toujours des plus faciles à lire. Je vous conseillerais donc :

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de lire autre chose

Le Sauteur de mur, de Peter Schneider, traduit de l’allemand par Nicole Casanova. Grasset, collection « Les cahiers rouges », 2000, 185 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes, consacrées à la littérature de langue allemande.

9 réflexions sur “Peter Schneider – Le Sauteur de mur

  1. dominiqueivredelivres 10 novembre 2021 / 18:18

    je note immédiatement
    je suis allée à Berlin Est en 1966, ce fut une expérience troublante, stressante, des militaires partout, des contrôles plusieurs fois par jour de notre voiture, notre caravane, des mises en garde à mi voix dans la rue, et la vue de ce mur avec au loin les lumières de Berlin Ouest, l’est est dans la nuit et l’ouest est illuminé !! fort souvenir inoubliable et qui repousse à tout jamais la tentation pour voter pour certains partis, l’obligation de voter parce qu’on le peut, et l’obligation que nous avons d’en parler à nos enfants, petits enfants et pour moi bientôt à un arrière petit enfant

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  2. La Barmaid aux Lettres 11 novembre 2021 / 07:16

    Ca me parait hyper intéressant, quand j’étais ado j’avais lu Catherine Pancol (oui, bon…) et un des personnages avait très mal vécu la chute du mur. De mon regard de lycéenne, et de celui de son personnage de française bourgeoise, ça paraissait inconcevable. Mais il est vrai, qu’il me semble que c’est quelque chose de plutôt courant car je m’y suis intéressée par la suite et je pense que ce livre nourrirait justement plus encore mes interrogations !
    Bref, je parle beaucoup pour pas grand chose ahah ! Mais je le note !

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  3. anniemots 11 novembre 2021 / 09:51

    Ce roman- récit m’a l’air tout de même bien intéressant.

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  4. lilly 11 novembre 2021 / 13:54

    C’est une période dont je ne connais pas grand chose hormis quelques films et mes cours du secondaire, mais je dois reconnaître que tes réserves me rendent plus prudentes que Miriam et Dominique.

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  5. laboucheaoreille 12 novembre 2021 / 12:56

    Le sujet est vraiment très intéressant, mais si le livre est décousu je préfère passer. Ces tentatives de « passer le mur » étaient très héroïques en tout cas, et beaucoup ont très mal fini.

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