Lion Feuchtwanger – Les enfants Oppermann

Récemment réédité par les éditions Métailié, Les enfants Oppermann est un roman mettant en scène une famille bourgeoise juive de Berlin au moment où l’Allemagne bascule vers le nazisme. Il est l’oeuvre de Lion Feuchtwanger, auteur en 1925 du roman historique Le juif Süss, qui lui conféra une grande notoriété. Au moment où il achève le roman dont il est aujourd’hui question (en octobre 1933), l’auteur est réfugié en France, il est déjà lui-même privé de nationalité et sa maison a été pillée par les SA.

Nous sommes à Berlin en 1932 et la grande affaire qui occupe Gustav, c’est son cinquantième anniversaire. Il est alors un homme comblé qui s’intéresse davantage à la littérature qu’à l’entreprise familiale Oppermann (qui conçoit et vend de l’ameublement), gérée par son frère Martin. Ce dernier est quant à lui beaucoup plus préoccupé de l’avenir de l’entreprise dans un contexte qui devient hostile et envisage de céder à un non-juif des parts pour que l’entreprise puisse continuer d’exercer. Klara, la soeur, et le frère Edgar, chef de service à l’hopital, complètent la famille.

Inquiétude, indifférence, moquerie… L’attitude de chacun envers Hitler et la montée des « völkisch » (terme que l’on retrouve également dans le livre de Bernhard Schlink, La petite-fille) varie. Gustav fait clairement partie des optimistes…

Sereins, tranquillisés, confiants, ils plaisantaient en conjecturant comment finirait ce Führer : en bonimenteur de foire ou en agent d’assurances ?

Le 30 janvier, le président du Reich nomma l’auteur de Mein Kampf chancelier du Reich. 

La première partie du livre se termine sur cette phrase. Les mots et les craintes se transforment en actes et en souffrance ; l’étau se resserre partout dans la société. Un vendeur juif de chez Oppermann, Markus Wolfsohn, est malmené par son voisin. A l’hopital, Edgar a trouvé dans le docteur Jakoby son successeur, mais il est juif, et l’exclusion le menace. A l’école, le directeur François, emprunt d’humanisme et de raison, voit avec inquiétude l’ascension d’un völkisch dans son établissement et le développement de thèses qu’il honnit.

D’un doigt prudent, répugnant au seul contact du papier, le directeur François feuilletait le Trésor des chants nazis, recueil officiel des chants völkisch dont ses jeunes devaient à présent apprendre les vers par cœur à l’instigation de Vogelsang. Et quels vers ! « Quand la grenade pète, / Le cœur est en fête » ou « Quand le sang juif gicle sous le couteau, / Le jour est encore plus beau ». Dans les salles de classe où résonnaient auparavant les strophes de Goethe et de Heine ou la prose maîtrisée de Kleist, on éructait aujourd’hui ces obscénités. Le visage du directeur grimaça de dégoût. Ils savaient maintenant comment les envahisseurs barbares transformaient les temples des cités antiques en écuries pour leurs chevaux. 

Partout, c’est la chasse aux Juifs, le boycott de leurs magasins, les tortures et déjà la mise en place des camps de concentration :

Or, ce jour-là, des affiches semblables furent apposées sur un total de 87204 maisons de commerçants juifs, de médecins juifs et d’avocats juifs. Un avocat juif de Kiel, qui opposait de la résistance après une altercation avec les mercenaires exigeant le paiement du prix du collage, fut lynché dans une cellule de la police. Quarante-sept juifs se suicidèrent ce samedi-là. 

Ce qui frappe à la lecture de ce livre, c’est que toute la menace que représente Hitler et ses partisans est déjà clairement décrite, alors que le livre fut écrit en 1933, peu après l’installation d’Hitler à la chancellerie, et 5 ans avant l’invasion des Sudètes puis de la Pologne. Feuchtwanger décrit très bien l’ambiance de cette époque, le repli de chacun sur ses propres préoccupations, la fin de l’Etat de droit en Allemagne. Il montre également clairement que nombre de personnes ne s’inquiétaient guère de la menace hitlérienne :

Au club de golf, au club de théâtre, on avait expliqué à Gustav qu’on ne courait guère de risque, que le Führer serait neutralisé par l’influence des membres du cabinet plus modérés et raisonnables. Toute l’opération n’était qu’un stratagème destiné à juguler les masses rebelles. Gustav écoutait, heureux d’y croire. (…) Gustav se contentait de sourire du pessimisme de son ami. Un peuple parvenu à ce haut niveau technique et industriel ne tomberait pas du jour au lendemain dans la barbarie. Et quelqu’un n’avait-il pas calculé tout récemment que les seules œuvres de Goethe circulaient à plus de cent millions d’exemplaires dans l’espace linguistique allemand ? Un peuple pareil n’écoute pas longtemps les hurlements barbares.

La troisième partie met en évidence la nécessaire prise de conscience, un chemin de Damas que Gustav connut lui-aussi. L’engagement est une obligation et il est très bien résumé par une citation du Talmud : « Il ne t’incombe pas d’achever l’ouvrage mais tu n’es pas libre pour autant de t’y soustraire ».

Je vous conseille la lecture de ce livre majeur et tiens à saluer l’initiative de cette réédition.

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Les enfants Oppermann, de Lion Feuchtwanger, traduit de l’allemand par Dominique Petit. Métailié, 2023, 400 pages.

Lecture commune avec Livr’Escapades.

15 réflexions sur “Lion Feuchtwanger – Les enfants Oppermann

    • Avatar de Patrice Patrice 7 août 2023 / 07:51

      Tu ne le regretteras pas !

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    • Avatar de Patrice Patrice 7 août 2023 / 07:51

      Oui, c’est cela qui est incroyable et qui rend cette lecture également si forte.

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    • Avatar de Patrice Patrice 7 août 2023 / 07:53

      C’est une très bonne idée et j’espère lire la chronique au mois de novembre 🙂

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    • Avatar de Patrice Patrice 7 août 2023 / 07:57

      Avec plaisir ! J’étais très heureux de faire cette découverte et de la partager.

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    • Avatar de Patrice Patrice 7 août 2023 / 07:57

      C’est une bonne inspiration !

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  1. Avatar de luocine luocine 21 août 2023 / 15:07

    certainement un livre de plus intéressant et qui aide à comprendre le pourquoi de tant de morts. Hitler n’a pas été pris au sérieux hélas!

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