
Karel Čapek est un écrivain que nous apprécions énormément sur ce blog, en témoignent les billets que nous avons rédigés sur L’année du jardinier, Voyage vers le Nord, Hordubal, La maladie blanche et plus récemment La Fabrique d’Absolu. Nous voyons d’ailleurs avec beaucoup de plaisir le fait que son oeuvre a été récemment réédité par plusieurs maisons d’édition. Je réponds aujourd’hui à l’invitation de Sacha pour une lecture commune de La guerre des salamandres, publié en 1935, et l’un des livres les plus connus de Čapek.
Aux abords d’une île que les indigènes redoutent, vivent des « diables marins »… C’est là que, malgré les mises en garde, accoste le capitaine van Toch. Ces fameux diables sont en fait des espèces de salamandres géantes, qui se déplacent sur les membres postérieurs et vivent dans la mer. Rapidement, le capitaine s’attache à ces créatures qui apprennent à reproduire les sons qu’elles entendent. Un marché se met en place : il leur donne des couteaux avec lesquels elles peuvent se défendre contre les requins, mais sont aussi capable d’extraire des perles dont fait commerce van Toch. Ce dernier voit grand et se met en relation avec industriel pour développer son activité. Rapidement, un Syndicat des Salamandres est créé ; elles sont utilisées pour la construction de ports, de digues… N’ayant plus de prédateurs, elles pullulent, et le Syndicat fait le commerce de cette main d’oeuvre.
Après cette première partie, le lecteur en apprend plus sur les salamandres grâce à des pseudo-articles de presse qu’aurait conservé le secrétaire de l’industriel : les élevages, les classes, l’éducation, leur intégration dans la société humaine. Une civilisation des salamandres qui débouchera vers un conflit avec les hommes que traite la troisième partie.
Je ne suis pas un grand adepte des ouvrages proches de la science-fiction mais force est de constater que la magie opère dès les premiers lignes. La construction en trois parties, tout d’abord, et notamment avec la seconde sous forme d’articles de journaux ou rapports scientifiques, est originale. Ensuite, on retrouve dans ce livre les traits d’humour et d’ironie de Čapek, comme ici en décrivant cette salamandre du zoo de Londres qui fut l’objet d’une grande curiosité :
Cette même salamandre sait lire, mais seulement les journaux du soir. Elle s’intéresse aux mêmes sujets que l’Anglais moyen et réagit d’une manière analogue, c’est-à-dire selon les idées reçues. Sa vie intellectuelle, dans la mesure où elle en a une, se compose de conceptions et d’opinions courantes à l’heure actuelle.
Ce livre s’inscrit dans son époque – celle de la montée de l’Allemagne nazie que Čapek abhorrait (et celle-ci avait d’ailleurs couché son nom en tête des personnalités tchécoslovaques à arrêter lors de l’invasion du pays en 1938 – il ne dut son salut pour ainsi dire qu’à sa mort prématurée). Comme dans La maladie blanche, il critique le régime et la société qui est en train d’émerger en Allemagne, non sans avoir recours une fois de plus, à l’ironie :
Quelques années après l’établissement des premières colonies de salamandres dans la mer du Nord et dans la Baltique, un chercheur allemand, le Dr Hans Thüring, constata que la salamandre balte manifestait – visiblement sous l’influence du milieu – certaines caractéristiques particulières ; il semblait que sa peau fût plus claire, qu’elle marchât plus droit et que son indice crânien reflétât un crâne plus long et plus étroit que celui des autres salamandres. Cette variété fut baptisée der Nordmolch ou der Edelmolch (Andrias Scheuchzeri var, nobilis erecta Thüring). Sur ce, la presse allemande commença à faire beaucoup de bruit autour de la salamandre balte. On soulignait que c’était grâce au milieu allemand que cette salamandre avait évolué vers un type racial différent et supérieur, qu’il convenait de placer au-dessus de toutes les autres salamandres.
Enfin, 90 ans après sa première parution, ce livre garde toute son actualité par la richesse des thèmes abordés : citons pêle-mêle la surpopulation, la prolifération des espèces, l’exploitation d’une espèce par une autre, le capitalisme, la recherche du profit, l’avidité dans l’exploitation des ressources et des hommes, le progrès technique, la maîtrise des éléments… Des passages interpellent le lecteur d’aujourd’hui :
Allô, vous les hommes, Chief Salamander vous invite à la collaboration au nom de toutes les salamandres du monde. Vous travaillerez avec nous à la destruction du monde. Nous vous remercions.
Enfin, Čapek, qui était un fin observateur du monde qui l’environnait, sait croquer ses contemporains et l’esprit des différents peuples.
En résumé, (encore) un très bon moment de lecture avec un auteur tchèque majeur qu’il est urgent de redécouvrir si vous ne l’avez pas encore fait !
X Achetez ce livre chez votre libraire
X ou empruntez-le dans votre bibliothèque
lisez plutôt autre chose
La guerre des salamandres, de Karel Čapek, traduit du tchèque par Claudia Ancelot, Bibliothèque Marabout, 321 pages.
Désormais disponible chez les éditions Cambourakis (2022, 384 pages) & La Baconnière (2012, 320 pages)
J’ai touché du doigt l’univers de Karel Capek à travers une adaptation en BD de R.U.R. de Kateřina Cupová. J’ai d’ailleurs été impressionnée par la modernité et la clairvoyance de Capek. Il semble, par exemple, que l’écrivain Tchécoslovaque soit à l’origine du mot « robot ».
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ton commentaire. En effet, il est bien à l’origine du mot robot, et je suis tout à fait d’accord avec toi sur sa clairvoyance ; c’est un auteur dont les textes n’ont pas vieilli. Cela m’a frappé quand j’ai lu « La maladie blanche » par exemple.
J’aimeAimé par 1 personne
« la guerre des salamandres » est le seul roman de Capek que j’ai lu et je l’ai beaucoup aimé ! Très brillant, humoristique et imaginatif… avec un côté un peu visionnaire, il me semble. Contente que vous l’ayez également aimé ! Bonne journée
J’aimeAimé par 1 personne
Très heureux de lire ton commentaire, dont je partage tous les points. La construction de « La guerre des Salamandres » est en effet vraiment originale et bien menée. C’est un roman qui fait vraiment réfléchir !
J’aimeAimé par 1 personne
j’aime bien cet auteur je luis dois une de mes lecture très réussie ( car il m’a fait rire) l’année du jardinier. Mais j’ai eu aussi quelques réserves. comique de répétions trop utilisé et je crains de le retrouver ici.
J’aimeAimé par 1 personne
Je me souviens encore de ta chronique de « L’année du jardinier ». Je comprends ce que tu veux dire par le comique de répétitions, mais c’est assez propre à « L’année du jardinier ». N’hésite pas à explorer ses autres livres en tout cas.
J’aimeJ’aime
j’ai bien envie de connaître Capek dont le nom m’est familier mais que je n’ai pas encore lu. Quel coman me conseilles tu pour commencer?
J’aimeAimé par 1 personne
Voilà une très bonne résolution :-). Tu peux commencer par celui-ci sans problème, ou alors par « La maladie blanche » qui est un petit bijou. Bonne lecture !
J’aimeAimé par 1 personne
Un incontournable en effet! Mon avis (enthousiaste)
https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2012/09/la-guerre-des-salamandres.html
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, on partage le même avis sur ce livre et cela m’a fait sourire que tu aies également choisi cet extrait sur les salamandres baltes, qui résume tout à fait l’humour (l’ironie) de Capek – et plus largement tchèque.
J’aimeJ’aime
J’ai lu l’année dernière l’adaptation théâtrale de La guerre des salamandres, très bien faite aussi, et très riche en thèmes passionnants.
J’aimeAimé par 1 personne
Excellente idée – j’ai lu en effet que La guerre des Salamandres se prêtait bien à une adaptation théâtrale. D’autres textes, comme « La maladie blanche », sont d’ailleurs écrits pour le théâtre.
J’aimeJ’aime
Eh eh, je vois que ton édition est encore plus ancienne que celle que j’ai eue entre les mains 😀 Quelle lecture en tous cas, c’est vraiment un grand roman et un immense auteur ! Je viens de dresser une petite liste des prochains livres de Capek à lire, notamment en m’inspirant de vos chroniques, à Eva et toi. J’ai aussi repéré ses « Lettres d’Angleterre » qui s’annoncent très caustiques. Je crois que c’était ma première lecture tchèque et elle a placé d’emblée la barre très haut… Mais tant mieux !
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’ai pas encore pris le temps d’aller lire ton billet mais je vais le faire ce soir (la période est chargée !). Oui, c’est une vieille édition que j’avais trouvée dans une boite à livres en Eure-et-Loir quand on habitait encore en France et c’est grâce à toi que j’ai enfin lu ce livre – j’ai d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi cela m’a pris autant de temps car c’est un excellent livre, en effet, très riche, inventif et très réussi. En cette période estivale, si tu veux continuer à lire Capek, n’hésite pas à lire « L’année du jardinier » – si je dois donner mon titre préféré, je dirais « La maladie blanche ». Encore merci pour cette LC !
J’aimeAimé par 1 personne
L’année du jardinier est très tentant c’est vrai, ainsi que les Lettres d’Angleterre où j’imagine (peut-être à tort) que Capek me régalera de ses observations ironiques sur les Britanniques ☺️.
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai bien aimé L’Année du jardinier et je compte lire les Lettres d’Angleterre mais ce livre-ci m’a paru très prévisible, dépourvu de toute fantaisie, et assez simpliste en fait. On m’a rétorqué qu’il était « nécessaire » mais enfin, je ne comprends pas trop son succès.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ton commentaire. Tu parles bien de « La guerre des Salamandres » ? Si c’est le cas, je peux acquiescier sur le fait que l’on perçoit ce qui va se passer (c’est de toute façon clairement annoncé dans la 4ème) – par contre, sur la construction, les thèmes abordés, je l’ai trouvé vraiment riche.
J’aimeJ’aime
Toujours pas lu ce grand classique. Mais il est parlant plus que jamais… malheureusement.
J’aimeAimé par 1 personne
C’était mon cas jusqu’à ce jour également. Et il mérite indéniablement une lecture.
J’aimeAimé par 1 personne
J’avais adoré ce livre aussi, mon premier de l’auteur, et j’aurais dû poursuivre mon exploration de ses oeuvres, mais le temps passe à une vitesse… J’espère pouvoir caser un de ses romans prochainement !
J’aimeAimé par 1 personne
Beaucoup d’avis positifs, à ce que je lis, et c’est mérité :-). J’espère que tu trouveras le temps de lire d’autres livres de cet auteur qui mérite plus que jamais d’être lu.
J’aimeJ’aime
La couverture est à faire peur ! kitschissime … Ce qui ne semble pas du tout être le cas du texte ! Je note en tout cas.
J’aimeAimé par 1 personne
Tu as raison :-). Les éditions plus récentes sont beaucoup plus jolies, comme tu peux l’imaginer. Mais le contenu reste le même, et c’est tant mieux !
J’aimeJ’aime
Magnifique couverture ! encore mieux que celle de Sacha. c’est plein d’humour, semble-t-il, c’est un livre que je vais lire.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup pour ton commentaire ! La couverture m’a un peu refroidi, je dois dire, c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles j’ai lu ce livre si tardivement. Au plaisir de lire ta chronique.
J’aimeJ’aime
Ca y est , c’est lu. Excellent roman. Merci de me l’avoir fait connaître.
J’aimeJ’aime
Je rejoins totalement ton avis, ce roman est d’une efficacité et d’une justesse incroyables. Comme je le disais à Sacha, c’est une oeuvre qui m’a marquée et, depuis, je ne cesse de me promettre de découvrir davantage sa bibliographie sans le faire. Toutes les lectures me confirment qu’il faut que je rectifie cela !
(Et quelle magnifique couverture…)
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ton commentaire, heureux de lire que l’on se rejoint :-). Oui, c’est une oeuvre marquante, et c’est un commentaire qui peut s’étendre à l’oeuvre de l’auteur dans son intégralité. N’hésite pas à lire d’autres livres, des lectures communes peuvent même s’organiser !
J’aimeAimé par 1 personne
Quels textes pourraient te tenter ? Tu en as déjà lu plusieurs que j’aimerais découvrir…
J’aimeJ’aime
Très très tentée !! J’ai écouté La maladie blanche en podcast et j’ai été bluffée !! Intelligent et si bien fichu.
J’aimeJ’aime
Ce roman est excellent par sa construction mais aussi par son propos qui n’a pas vieilli.
J’aimeJ’aime
Je n’ai pas encore lu cet auteur dont je n’avais entendu parler que de L’année du jardinier. Je vois que son univers est très vaste !
J’aimeJ’aime